L'ouvrage de M. Sommer est une synthèse sur la région située à l'est de l'Empire romain: sur ces quatre sites, plusieurs études récentes ont paru [1], certaines dans la même collection Oriens et Occidens. En 1977, H.J.W. Drijvers avait fait un bilan de l'histoire politique et culturelle de la région [2]; ce livre en reprend l'étude, en tenant compte des nouveautés nombreuses (archéologie, épigraphie surtout), dans une synthèse moins axée sur l'histoire religieuse que sur les spécificités régionales, et fondée au premier chef sur des notions théoriques. [3]
Des traits culturels communs font l'unité du sujet; les plus visibles et les plus souvent cités sont l'usage épigraphique de l'araméen et l'art dit 'parthe'. Néanmoins, d'autres régions plus à l'est ou même plus à l'ouest (Nabatène) en partagent certains. Pour définir une zone culturelle, la question des limites se pose, et l'unité, outre la proximité géographique, tient aussi à l'abondante documentation fournie: pour cette raison, Doura Europos peut figurer sur la liste, malgré sa modeste importance (contra 115 et n. 52); même pour Édesse, la documentation plus tardive (littérature syriaque) supplée des sources peu nombreuses. Pour la même raison, des villes comme Assur ou Harran n'apparaissent pratiquement pas.
L'introduction (I. Einleitung,14-32) tente une théorie des contacts culturels, en soulignant les changements liés à la présence romaine (cf. les débats autour de F. Millar, Roman Near East). Comme cela est répété (par ex. 49), le titre même (Steppengrenze) indique l'existence d'une zone de contacts et d'échanges, donnant naissance à un espace spécifique. L'introduction est suivie de 4 chapitres thématiques et théoriques.
La chapitre II est une présentation géographique de la Syrie antique. Elle éclaire l'objet réel du livre (Vom Orontes bis Tigris, 33-47): la région est vue depuis l'Occident. La rareté des développements sur la partie orientale (Zagros, Iran et même Mésopotamie centrale) est symptomatique: la région est considérée dans son rapport avec Rome. Pourtant, comme il est noté dès l'introduction, la création de dritte Räume (25) se fait par le contact entre plusieurs acteurs, pas seulement de Romains aux prises avec des populations sémitiques diverses (nomades-sédentaires), et d'autres peuples (Iraniens, Arméniens) participent aux évolutions; on peut regretter l'absence d'analyse du rôle des villes de Mésopotamie (hellénisées ou non: Babylone, Séleucie) dans l'évolution culturelle de Palmyre ou Hatra. Dans le chapitre III (Macht, 48-78]) sont résumées les étapes de la conquête romaine vers la Mésopotamie.
Le court chapitre IV (Institutionen, 79-97) s'interroge sur les institutions (en un sens élargi) présentes dans la région (cités, villages, tribus, organisation du commerce). Il dénie à Doura et Édesse le titre de cité caravanière, mais l'un des arguments (absence de sources sur le commerce) est valable pour le dénier aussi à Hatra (contra 93). Il y a dans cette comparaison des fonctionnements institutionnels, appuyée sur l'exemple d'Apamée, un problème d'échelle: une ville, comme Doura, tardivement arrivée au stade de cité, n'est pas comparable à l'une des plus grandes cités de l'Antiquité (en surface et en population). Le chapitre V (Kulturelle Identitäten, 98-138) achève la 1e partie par une réflexion sur les éléments définissant l'identité culturelle et sur les rapports de forces permettant l'acculturation: parmi ces éléments sont énumérées l'architecture, la langue, la religion: cette dernière, dans l'optique 'romaine' du livre, est traitée surtout du point de vue du culte impérial.
Au terme de cette partie théorique (chapitres I-V), d'après les exemples choisis (Antioche, Apamée, Beqa'), on peut se demander si le manque de sources, leur déséquilibre (surreprésentation de Palmyre et de Doura, dans ce dernier cas, de manière déséquilibrée par rapport à son rayonnement) n'ont pas forcé l'auteur à se tourner vers d'autres régions, noyant la spécificité de la zone choisie et de ses composantes.
Le chapitre sur Palmyre est le plus long du livre (VI. Palmyra und die Palmyrene, 139-224). Après un archäologischer Überblick et un historique rapide, M. Sommer s'intéresse d'abord à la fin de cette histoire et tente de comprendre la signification de l'épisode d'Odainath et Zénobie. Comme pour les institutions de Palmyre, l'auteur, me semble-t-il, ne tient peut-être pas suffisamment compte des conceptions fort théoriques développées dans la 1e partie du livre. Les institutions d'une cité grecque n'empêchent pas Palmyre d'être aussi autre chose; que Zénobie soit explicable entre autres par le modèle 'romain' de l'usurpation, ne signifie pas que toutes les réponses sont données. L'histoire ancienne fait appel aux sources disponibles, en sachant qu'une nouvelle découverte peut venir ruiner un bel édifice. Ainsi des quatre tribus de Palmyre ou des institutions civiques: les décrets civiques attestent de leur fonctionnement (ne s'agirait-il que d'un 'vernis'), et le corps civique est divisé en tribus (cf. Athènes, Éphèse, mais aussi Édesse, Harran): leur rapport avec les tribus préexistantes est difficile à éclaircir, il n'en reste pas moins qu'elles sont aussi cela.
L'accord presque général se fait sur le caractère composite ('Mischkultur'?) et je ne vois pas la différence entre ce qualificatif et la remarque citée (171, n. 109) de A. Schmidt-Colinet: "(the position of Palmyra is) the result of a very complex process, of increasing interaction of eastern and western traditions". Comme pour toute civilisation, cela ne signifie nullement qu'il s'agit d'un processus achevé: nos documents donnent une succession d'instantanés, avec lesquels il faut essayer de reconstruire une image globale.
On pourrait faire des remarques du même ordre sur les chapitres suivants (VII. Edessa und Osrhoene, 225-269: court, et s'intéressant principalement aux étapes de la conquête romaine et aux contrats découverts sur l'Euphrate; VIII. Dura-Europos und der mittlere Euphrat, 270-354; IX. Hatra und das "Königreich der Araber", 355-390), dans lesquels la partie descriptive (monument par monument) tient une place importante.
Une dernière partie (X. Schluss: Paradigma der Akkulturation zwischen Orontes und Tigris, 391-407) tient lieu de conclusion, avant deux annexes qui donnent des listes de textes (documents d'Osrhoène et du Moyen-Euphrate) et d'anthroponymes.
M. Sommer dresse un bilan des recherches récentes sur la région. L'importance du contenu théorique et des discussions de détails (peut-être trop détaillées?) masque l'accord sur de nombreux points: la culture de la région est faite d'apports divers. Le plus intéressant est d'arriver à saisir le fonctionnement de ces sociétés (cf. l'approche beaucoup plus pragmatique de N. Pollard - Soldiers, Cities, & Civilians sur le rôle de l'armée dans la romanisation).
Notes:
[1] F. Millar: The Roman Near East, Cambridge, Mass. 1993, et M. Sartre: D'Alexandre à Zénobie, Paris 2001, pour la bibliographie récente; pour Palmyre, T. Kaizer: The Religious Life of Palmyra, Stuttgart 2002; U. Hartmann: Das palmyrenische Teilreich, Stuttgart 2001; pour Hatra, Topoi 11/1 (2001).
[2] Hatra, Palmyra und Edessa, in: ANRW II 8 (1977), 799-906.
[3] De nombreuses erreurs matérielles (lettres manquantes, etc.) auraient pu être évitées et quelques références ajoutées: N. Pollard: Soldiers, Cities, & Civilians in Roman Syria, Ann Arbor 2000; P. Leriche, in: CRAI 1999, 1309-1346 (stratèges de Doura).
Michael Sommer: Roms orientalische Steppengrenze. Palmyra - Edessa - Dura-Europos - Hatra. Eine Kulturgeschichte von Pompeius bis Diocletian (= Oriens et Occidens. Studien zu antiken Kulturkontakten und ihrem Nachleben; Bd. 9), Stuttgart: Franz Steiner Verlag 2005, 454 S., ISBN 978-3-515-08724-7, EUR 48,00
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