Dans ce livre - version remaniée de sa thèse soutenue en 1999 -, Benferhat se propose d'étudier le "paradoxe" de l'activité politique de nombreux personnages romains qui se qualifiaient d'épicuriens. "Au commencement il y a un paradoxe: l'épicurisme est célèbre pour la formule lathe biôsas et pour son refus de toute activité politique, or nombreux furent les épicuriens qui s'engagèrent à Rome en politique dans les dernières années de la République" (7). Benferhat cherche à vérifier si ces Épicuriens, pour la plupart proches de César, furent des partisans de la monarchie à Rome, et cela à partir de l'idée largement répandue que le seul régime politique accepté par Épicure et les Épicuriens était la royauté.
Benferhat tente de montrer qu'on n'a pas de preuves suffisantes pour maintenir cette dernière hypothèse, ni pour Épicure ni pour son école (13-56): il paraît "hasardeux d'essayer de voir en Épicure un défenseur de la monarchie" (34); "l'ennemi du sage épicurien, c'est le tyran; pour le reste, peu importe; de toute façon, il se gardera de faire de la politique. La démocratie offre, elle aussi, des possibilités de retraite sereine" (36).
En ce qui concerne le monde grec, Benferhat justifie la participation à la politique de certains Épicuriens (Idoménée, Philonide de Laodicée-sur-mer, Aristion, Lysias de Tarse et Cinéas) en supposant que ces personnages, "archétypes des nobles romains engagés dans la vie politique", "firent de la politique, mais d'une manière qui supprimait plusieurs des inconvénients dénoncés par Épicure" ne se soumettant pas au hasard des élections, échappant à la jalousie et à l'envie "en étant soit au service d'un roi, soit, le plus souvent, chargés par leur cité d'une ambassade exceptionnelle" (56).
A partir du chapitre deux, on passe à Rome, et la recherche tend à démontrer qu'il n'y a pas eu de liens entre l'Épicurisme et les idées politiques de César.
Le chapitre II (Lucrèce ou l'abstention politique, 57-97) est consacré à une analyse du De rerum natura de Lucrèce qui ne peut pas être interprété comme "une apologie de la monarchie, encore moins comme un instrument de la propagande césarienne", "un plaidoyer en faveur de la monarchie" (97).
Le troisième chapitre (Atticus ou la neutralité vigilante, 98-172) a pour protagoniste Atticus, dont B. trace un profil biographique bien informé en tenant compte des multiples facettes de l'activité du personnage et en se fondant sur une lecture attentive des textes anciens et de la littérature secondaire (l'article de P. Lautner cité dans la bibliographie n'a évidemment rien à voir avec notre personnage, mais concerne l'Atticus médio-Platonicien!). Il en résulte que la vie d'Atticus "est la preuve qu'un épicurien vit aussi bien dans une République que sous une monarchie" (169). Un appendice, intitulé "Attici minores" (169-172), est consacré à Lucius Saufeius et à L. Papirius Paetus, deux chevaliers qui furent épicuriens et qui présentent plusieurs points communs avec Atticus.
Dans le quatrième chapitre (Pison ou les devoirs d'un Romain, 173-232), Benferhat se propose d'examiner l'activité de L. Calpurnius Piso Caesoninus ainsi que l'œuvre de son protégé, le philosophe épicurien Philodème de Gadara, en particulier son traité Sur le bon roi selon Homère. Certaines affirmations sur Philodème sont à rectifier (p. ex., son départ d'Athènes après la mort de son maître Zénon de Sidon [213]: voir J. Wisse: The presence of Zeno. The date of Philodemus' 'On Rhetoric' and the use of the 'citative' and 'reproducing' present in Latin and Greek, in Studies H. Pinkster, Amsterdam 1996, 173-202). Les conclusions sur Pison "un perfectus Epicureus, à la fois par son pacifisme et son réalisme politique dans la tourmente des dernières années de la République" (232), me semblent forcées.
Le cinquième et dernier chapitre (César ou l'épicurisme politisé, 233-312) aborde la question controversée des liens présupposés entre épicurisme et césarisme. Benferhat arrive à la conclusion qu'il est impossible de prouver l'adhésion de César à l'épicurisme et son intention d'établir une monarchie à Rome.
Le volume s'achève par une conclusion générale (313-317), suivie d'une bibliographie (318-347) et de deux index (l'index des noms anciens et celui des sources, 349-366. Il n'y a pas d'index des noms modernes).
La bibliographie est à jour jusqu'à 1999 (pour les années suivantes, on n'y repère que quelques titres sporadiques). Il faut, malheureusement, souligner dans ces pages la présence de plusieurs fautes et coquilles. Je n'en signalerai que quelques-unes: (Algra, et ailleurs) Koenen et non Koene; (Barabino) Gênes et non Genève; (Marrone) 'Questioni'; (Milazzo) 'opuscolo'; (Mondini Marchetti) 'papiro ercolanese'; Longo Auricchio et non Longo-Auricchio; Schmid (W.) et non Schmidt et surtout Wilamowitz-Moellendorff et non Willamowitz-Möllendorf (sic).
Le livre de Benferhat représente une bonne recherche sur les Épicuriens romains et la politique, après l'article (encore indispensable) d'A. Momigliano JRS 31 (1941) 149-165 (Secondo contributo agli studi classici, Roma 1960, 375-388). Si certains résultats (refus d'établir un lien entre épicurisme et césarisme) me semblent convaincants, d'autres (refus d'établir un lien entre épicurisme et aspiration à la monarchie) me laissent sceptique. Plusieurs points de détail me trouvent aussi en désaccord et mériteraient d'être examinés de plus près: p. ex., l'interprétation des fragments du Perì basileias d'Épicure (33-36) ou la chronologie de Philodème (211-219).
Ces quelques remarques ne m'empêchent pas, évidemment, d'apprécier le travail riche et bien documenté que Benferhat a consacré à l'étude des rapports entre les Épicuriens et l'idée de monarchie à Rome à la fin de la République.
Y. Benferhat: Ciues Epicurei. Les épicuriens et l'idée de monarchie à Rome et en Italie de Sylla à Octave (= Collection Latomus; Vol. 292), Bruxelles: Editions Latomus 2005, 366 S., ISBN 978-2-87031-233-9, EUR 54,00
Bitte geben Sie beim Zitieren dieser Rezension die exakte URL und das Datum Ihres letzten Besuchs dieser Online-Adresse an.