La Vie de Malchus écrite par Jérôme entre 386 et 390 est considérée comme une œuvre mineure du Père de l'Église latine. En 1992, Jean Miniac a traduit ce texte, accompagné des deux autres vies de moines, celles de Paul et d'Hilarion, et précédé d'un essai sur Jérôme et le désert, chez Jérôme Millon, à Grenoble. En 2007, sont parues, aux Sources Chrétiennes, l'édition et la traduction des Trois Vies de moines par Edgardo Martín Morales et Pierre Leclerc. Cet ouvrage, qui a souffert d'un manque de coordination entre les auteurs et dont on a pu critiquer l'édition du texte, offre néanmoins une traduction limpide.
Christa Gray s'est consacrée exclusivement à la Vita Malchi, pour laquelle elle offre une édition, une traduction et un commentaire dans la collection Oxford Classical Monographs, constitués à partir de sa dissertation présentée à Oxford en 2011.
L'ouvrage commence par la liste des abréviations des deux papyri retenus par l'édition ainsi que celles des 40 manuscrits présentés par ordre alphabétique, mais malheureusement sans l'indication de dates, ce qui est fort dommageable (X-XII). On a ensuite la liste des abréviations des textes antiques (XII-XIII), puis celles des ouvrages récents (XIV-XV). Le livre contient aussi une longue introduction qui mélange des points de vue fort différents. Christa Gray montre d'abord l'originalité de la Vita Malchi par rapport aux deux autres Vies de moines (1-3). Elle présente ensuite la structure de la Vita Malchi (3-4), la date et les circonstances de sa composition (5-6), la datation de la Vita Malchi (7-8), sa valeur historique (8-10), sa réception (10-12) et son but (12-14). Elle poursuit son introduction par une longue analyse littéraire, qui replace la Vita Malchi dans la tradition de la littérature chrétienne et énumère tout ce que la Vita Malchi doit aux œuvres qui l'ont précédée, qu'elles soient bibliques, païennes ou chrétiennes (14-45). Cette partie qui présente l'intertextualité de l'ouvrage est étonnamment longue, trop par rapport aux autres. Il aurait fallu adopter une division plus pertinente. On a ensuite une analyse rhétorique de l'écriture du livre (45-67).
Christa Gray précise ensuite comment elle a établi son texte. Il semble étrange que la présentation de son édition soit l'une des parties de l'introduction, au même titre que la valeur historique de l'ouvrage, par exemple, qui n'occupe que deux pages. La chercheuse rappelle le nombre considérable de manuscrits répertoriés par Bernard Lambert et résume les propos de Edgardo Martín Morales concernant la tradition manuscrite (SC 508, 7-20). Elle présente ensuite les manuscrits retenus - 5 - (Neapolitanus VI D 59; Monacensis 6393; Sessorianus 41; Parisinus Lat. 5324 et Laurentianus pl. 19 cod.16), qu'elle rattache pour chacun d'eux à une famille importante. Elle en a collationné 100 passages et a ainsi établi 75 variantes entre son texte, celui de Mierow (1946) et celui de Morales (2007) (75-76). Ces différences sont de peu d'importance (ex. 4.2 galliculas à la place de calligulas), même si quelques unes changent vraiment le sens du texte ou corrigent des erreurs de Morales (ex. 6.7 rediret à la place de redierit; 7.2 intrantibus à la plance de intranti). Mais on ne sait comment s'est opéré son choix ni sur quel manuscrit elle se fonde, ce qui est fort gênant.
Viennent ensuite le texte latin et la traduction qui lui fait face (78-92). La division est la même que celle des Sources Chrétiennes, soit onze paragraphes. Le tout est vierge de toute annotation. La traduction anglaise est claire et correcte et se révèle assez littérale pour faciliter la lecture par un public peu connaisseur du latin, ce qui est de plus en plus le cas.
La partie la plus importante de l'ouvrage (95-308) est occupée par le commentaire qui suit la division adoptée par l'édition. On y trouve quelques remarques sur la préface de Jérôme (95), le titre de l'œuvre (95-96), puis une présentation rapide du premier paragraphe (96-99). Chacun des paragraphes sera lui aussi systématiquement présenté, mais sans jamais faire l'objet de plus d'une demi page.
Dans l'ensemble, ce commentaire, qui procède lemme par lemme, ne brille ni par son originalité ni par sa modernité. Un nombre important de notes précise les sources de Jérôme et l'intertextualité de la Vita Malchi. Les autres remarques sont d'ordre historique, grammatical et philologique. Christa Gray y présente et discute toutes les interprétations qu'elle a lues par ailleurs et justifie ses positions. On doit lui rendre hommage pour sa très bonne connaissance des littératures païenne et chrétienne ainsi que de l'œuvre de Jérôme. Mais comme ce dernier a écrit la Vita Malchi au début de sa vie et que le genre de l'ouvrage est original dans sa production, les allusions à l'œuvre de Jérôme sont limitées et ne peuvent qu'anticiper sur la Vita Malchi.
Il est regrettable de ne pas trouver dans ce commentaire des analyses reprenant les travaux narratologiques récents. Mais il faut dire que la présentation lemme par lemme et le manque d'analyses synthétiques rendent la chose difficile. J'en veux pour preuve l'absence dans la bibliographie des travaux de linguistes anglais ou français. Ainsi le romanesque en tant que genre n'est pas étudié: on aimerait y voir comment la narration de la vie de héros chrétiens se nourrit du romanesque hellénistique sur le plan esthétique et idéologique et comment Jérôme s'est servi d'éléments romanesques et leur a fait subir des transformations, pour engendrer un nouveau type de romanesque. La constitution du moine comme personnage n'est pas étudié. Jérôme situe en effet ses personnages au-delà du réel en maximisant l'écart entre l'ethos fictionnel et l'ethos de la réalité. C'est parce que son saint transcende la norme morale qu'il ne semble plus appartenir au monde réel, mais à un monde surréel et donc fictionnel. Le romanesque hiéronymien est comme une utopie et donc au-delà du réel, mais pas irréel.
Une bibliographie riche de 25 pages suit le commentaire: elle contient principalement, comme nous l'avons dit, des ouvrages historiques, philologiques, linguistiques et patristiques, mais il manque des ouvrages capitaux pour l'analyse de la Vita Malchi et surtout pour son analyse narratologique, aussi bien généraux (Alain Billault: La création romanesque dans la littérature grecque à l'époque impériale, Paris 1991 et Le Romanesque, éd. Gilles Declercq et Michel Murat, Paris 2004) que spécifiquement hiéronymiens (Philip Charles Hoelle: Commentary on the Vita Pauli of St Jerome, Ohio State University 1953; Jacques Fontaine: "Esthétique littéraire de la prose de Jérôme", dans: Yves-Marie Duval (éd.): Jérôme entre l'Occident et l'Orient, XVIe centenaire du départ de Jérôme de Rome et son installation à Bethléem, Paris 1988, pour ne citer qu'eux).
Deux index très utiles terminent l'ouvrage: l'un récapitule toutes les citations (335-355), le second fait une liste très utile des noms et des sujets les plus importants du commentaire (356-365).
Christa Gray: Jerome, Vita Malchi. Introduction, Text, Translation, and Commentary (= Oxford Classical Monographs), Oxford: Oxford University Press 2015, XVIII + 365 S., ISBN 978-0-19-872372-1, GBP 70,00
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