Benedikt Eckhardt: Ethnos und Herrschaft. Politische Figurationen judäischer Identität von Antiochos III. bis Herodes I. (= Studia Judaica. Forschungen zur Wissenschaft des Judentums; Bd. 72), Berlin: De Gruyter 2013, X + 458 S., ISBN 978-3-11-030895-2, EUR 129,95
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Benedikt Eckhardt (ed.): Jewish Identity and Politics between the Maccabees and Bar Kokhba. Groups, Normativity, and Rituals, Leiden / Boston: Brill 2012
Cet ouvrage est la publication que Benedikt Eckhardt a tirée de sa thèse, soutenue en 2011 à l'Université de la Ruhr (Bochum). Mêlant l'étude des idéologies politiques et religieuses, il s'inscrit dans le renouvellement actuel de l'historiographie consacrée à la Judée hellénistique et romaine. On peut le mettre en relation avec les livres, également publiés en 2013, de C.-G. Schwentzel (Juifs et Nabatéens, les monarchies ethniques du Proche-Orient hellénistique et romain, Rennes 2013) et d'E. Regev (The Hasmoneans, Ideology, Archaeology, Identity, Göttingen 2013). Tous trois ont en commun de s'interroger sur l'idéologie, l'identité et l'ethnicité juives aux époques hellénistique et romaine. Tandis que Regev et Schwentzel étudient l'idéologie et l'image du pouvoir des souverains juifs, Eckhard prend aussi le problème dans un sens un peu différent: il s'intéresse à l'image du judaïsme qui change selon l'évolution des formes de pouvoir; il cherche à mettre en évidence les contingences et la variabilité de la représentation de l'ethnos juif. On note également des points communs méthodologiques entre ces ouvrages: une approche anthropologique, un intérêt particulier pour l'histoire des représentations et une perspective qu'on pourrait qualifier d'«évolutionniste», dans le sens où la vision du judaïsme antique n'est nullement figée, ni envisagée comme une identité immuable. Cette perspective souligne le lien entre l'affirmation de la judaïté, la définition ou la redéfinition du judaïsme et la situation politique du moment, à laquelle participent ou font face les Juifs.
Dans son introduction, Eckhardt nous donne la définition de l'ethnos: il s'agit d'un groupe particulier, séparé des autres. Il présente ensuite le lien entre l'ethnos juif et le pouvoir politique, d'abord extérieur à la Judée, lorsque cette région appartient à l'empire séleucide (début du IIe siècle av. J.-C.), puis intérieur, quand un pouvoir juif s'installe à Jérusalem, à l'issue de la révolte des Maccabées. L'étude se poursuit jusqu'à la mort d'Hérode le Grand, roi client (40-4 av. J.-C.), nommé par le Sénat romain. Deux niveaux de pouvoir coexistent alors: le souverain local et l'empereur de Rome. L'auteur présente ensuite les diverses sources sur lesquelles il a bâti sa réflexion.
L'ouvrage est divisé en trois grandes parties qui constituent autant de dissertations, pourrait-on dire, dont les perspectives sont différentes, même si elles se rejoignent. Cette construction équilibrée de l'ouvrage empêche toute répétition ou digression. L'ensemble des informations convoquées est très rigoureusement mis au service de la démonstration.
La première partie est consacrée à la représentation de l'ethnos juif. Le plan est bien évidemment chronologique, puisqu'il s'agit de mettre en évidence l'évolution de cette image, suivant les circonstances politiques du moment. L'étude est parfaitement contextualisée, d'abord au sein du royaume séleucide, puis à l'intérieur de l'Empire romain. Entre ces deux extrêmes, l'auteur nous raconte l'histoire de la représentation de l'ethnos juif sous la dynastie hasmonéenne, alors qu'il s'agit de signifier la liberté des Juifs, étroitement associée à la notion de langue et de territoire particuliers. L'auteur évoque également la question du "centralisme" de l'État hasmonéen, notamment lors des conquêtes réalisées par le grand prêtre Jean Hyrcan Ier (134-104 av. J.-C.) qui renforce la position de Jérusalem dans l'État hasmonéen. Eckhardt évoque aussi très précisément le rôle joué par les fêtes qui, en tant que célébrations, constituent une forme de représentation de l'ethnos. Il s'intéresse ensuite aux différents groupes juifs, parfois nommés "sectes": les Pharisiens, les Sadducéens, les Esséniens.
La deuxième partie propose une réflexion sur la notion d'ordre politique en Judée. L'auteur s'y intéresse notamment à la formation de l'État hasmonéen et au problème du lien entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Il est vrai que les Hasmonéens qui cumulèrent les titres de grand-prêtre et d'ethnarque, puis de roi, ont volontairement créé une confusion entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, instaurant une véritable monarchie politico-religieuse ou monarchie sacerdotale. À l'inverse, comme le souligne l'auteur, Hérode restaura plus tard le système dyarchique, censé remonter à Salomon et basé sur la séparation des pouvoirs entre le roi et le grand prêtre. Eckhardt essaie aussi, dans cette partie, de trouver des échos de la politique hasmonéenne dans la version que donne la Septante du livre d'Ézéchiel, ou encore dans le livre d'Esdras. Il mène une enquête très complète, interrogeant au passage des sources complexes comme les textes de Qoumrân; il cherche à y débusquer les indices d'une éventuelle relation avec le pouvoir hasmonéen, identifiant des formes de salut qu'on a pu se représenter tantôt comme liées à une figure royale, tantôt à un messie sacerdotal.
La troisième partie est consacrée au thème de la filiation. C'est aussi la moins développée. L'auteur se penche d'abord sur le problème de l'appartenance dynastique des grands prêtres hasmonéens qui n'étaient pas des Oniades. Puis il examine la question de l'identité aristocratique de certaines familles juives. Il aborde également les problèmes, très discutés, de l'incorporation de non-Juifs dans l'ethnos, sous les Hasmonéens, et de la pratique des circoncisions forcées.
Après une conclusion méthodique, l'auteur a tenu à ajouter encore trois appendices apportant des précisions sur des points particuliers. On y trouve notamment une discussion sur la signification des trois termes ethnos, laos et démos, dans les deux premiers livres des Maccabées, parfois invariablement traduits par "peuple".
L'ouvrage de Benedikt Eckhardt impressionne par sa grande érudition. La bibliographie paraît exhaustive. L'auteur ouvre ses chapitres par d'utiles rappels historiographiques très complets; il y commente très clairement les travaux de ses prédécesseurs. Les sources antiques (auteurs gréco-romains, apocryphes et pseudépigraphes, textes de Qoumrân, Bible hébraïque et Septante, Nouveau Testament, écrits rabbiniques, auxquels s'ajoutent des documents épigraphiques et papyrologiques) sont classés en un index qui sera extrêmement utile aux chercheurs. En fait, l'auteur s'appuie avant tout sur l'œuvre de Flavius Josèphe, les deux premiers livres des Maccabées et le livre de Judith, ce qui paraît parfaitement normal. Eckhardt nourrit son travail de citations grecques, latines et hébraïques, qui permettent au lecteur de vérifier les références utilisées. L'auteur aurait seulement pu accorder un peu plus d'importance à l'étude des monnaies, notamment d'Hérode, dont les types offrent aussi d'intéressants éléments de figuration de l'ethnos juif. L'examen de l'iconographie monétaire hasmonéenne est, par contre, plus développé. Il en résulte une œuvre très originale, bien bâtie, claire et stimulante. On se prend à espérer que d'autres chercheurs suivront l'exemple de Benedikt Eckhardt, en l'appliquant à d'autres peuples, idéologies et identités du monde antique.
Christian-Georges Schwentzel