Ian Haynes: Blood of the Provinces. The Roman Auxilia and the Making of Provincial Society from Augustus to the Severans, Oxford: Oxford University Press 2013, XVIII + 430 S., 50 s/w-Abb., ISBN 978-0-19-965534-2, GBP 90,00
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Il existe deux manières d'aborder l'étude des unités auxiliaires de l'armée romaine. La méthode de Theodor Mommsen, suivie par George L. Cheesman (The auxilia of the Roman imperial army, 1914, réimpr. Studia Historica, 59, Chicago 1975, 192 p.), et la méthode de Conrad Cichorius (Ala, RE, I, 1894, col. 1224-1270, et Cohors, RE, 4, 1900, col. 231-356), dont le dernier et meilleur avatar est Werner Eck (nombreux articles). Mommsen et Cheesman ont analysé la thématique: histoire, recrutement, rôle tactique, religions, etc. Cichorius et Eck se sont occupés de l'histoire de chaque unité. Ian Haynes, qui privilégie l'archéologie et les textes, et qui a emprunté son titre à Tacite (H., IV, 17), ne s'occupe qu'assez peu de l'épigraphie (395, il ne cite Eck que pour des travaux généraux); il suit la tradition de Mommsen et Cheesman, non sans succès, - disons-le tout de suite.
En effet, le plan est clair et logique, le sujet est traité, sinon dans tous ses détails, du moins sous tous ses aspects importants; l'iconographie est éclairante et la bibliographie satisfaisante (383-420; bien sûr, il est toujours possible de regretter telle ou telle mention, telle ou telle absence, mais nous ne nous livrerons pas à ce jeu stérile).
L'introduction part de la constatation que les auxiliaires jouaient un rôle important, qu'ils ont été des acteurs de l'intégration des provinciaux (6, n. 21, Haynes manifeste son enthousiasme pour les travaux de John Spaul; nous ne partageons pas ce sentiment). Suit un passage sur l'historiographie qui permet de conclure que ces soldats ont été un élément du "making of Empire". On peut les étudier comme une institution, comme une communauté et comme des acteurs de la conquête. Les unités auxiliaires n'étaient pas des "total institutions" (18), des réalités coupées du monde (théorie de Goffman).
La première partie est consacrée à l'histoire des auxiliaires (29-92). Leur origine remonte à une période antérieure à l'Empire (excellent point de vue). Puis on voit le rôle d'Auguste, des Julio-Claudiens qui lui ont succédé, des Flaviens et d'Hadrien comme symbole des Antonins (83, rappel des mois de novembre-décembre 140: les diplômes militaires ne mentionnent plus l'octroi de la citoyenneté aux fils de ces soldats). La tendance des Ier et IIe siècles a été inversée par les Sévères qui ont tout fait pour intégrer les auxiliaires et leurs familles (90-91).
Suit une étude du recrutement (93-142), des "ressources humaines". Cette enquête très archéologique lie le processus de recrutement à la géopolitique: les montagnards, les peuples à tradition guerrière et ceux qui vivaient dans les protectorats ont été davantage demandés que les autres. Nous pensons que les Gaulois et les Ibères ont fourni beaucoup d'unités de cavaliers, comme le montre l'épigraphie. Cette constatation conduit à une autre: le recrutement local a été plus limité qu'on ne l'a écrit; les unités auxiliaires ont toujours puisé des hommes dans les cités où elles avaient été créées. Nous nous permettons à ce propos de signaler une enquête qui va dans le même sens: Yann Le Bohec / Sébastien Gallet: Le recrutement des auxiliaires d'après les diplômes militaires et les autres inscriptions, Militärdiplome. Die Forschungsbeiträge der Berner Gespräche von 2004, édit. Michael A. Speidel / Hans Lieb, Coll. Mavors, 15, Stuttgart 2007, 267-292. Une autre remarque rappelle que Rome a utilisé les particularismes des différents peuples, ce qui est bien connu.
Il n'est peut-être pas utile de trop nous attarder sur la vie quotidienne (145-188), qui comprend deux volets, le service et la vie personnelle, plus civile (thermes, etc.). Elle ne diffère pas beaucoup de celle que connaissaient les légionnaires. On pourrait lui rattacher la question religieuse (192-236). Les lieux de culte sont bien connus de l'archéologue qu'est Haynes. Il n'ignore rien non plus de l'année liturgique (calendrier de Doura-Europos; 198-206). Les soldats auxiliaires pratiquaient le culte impérial, peu individuellement comme le montrent les inscriptions, beaucoup collectivement comme l'établit ce fameux papyrus; nous ajouterons que les collèges militaires qui sont attestés au temps de Septime Sévère visaient à renforcer cette piété. Ils vénéraient les étendards, les Génies, les divinités Campestres, ils honoraient les dieux de leurs patries et ils pratiquaient les cultes orientaux. Pour notre part, nous pensons qu'on a surestimé leur attachement à Mithra et plus encore à Isis (voir Isis, Sérapis et l'armée romaine sous le Haut-Empire, Ier Coll. international sur les études isiaques, édit. Laurent Bricault, Leyde 2000, 129-145).
L'auteur ramène ensuite son lecteur vers des questions plus techniques, l'équipement et la tactique, qui sont évidemment très liés (237-298). Comme on le devine, l'armement variait beaucoup d'une unité à l'autre (239-249). La question de l'utilisation des ailes et cohortes sur le champ de bataille est ensuite abordée (271-283). Nous croyons à une forte évolution. À lire La Guerre des Gaules de César, on constate que les batailles en rase campagne étaient l'affaire des légionnaires; les socii n'intervenaient que de manière secondaire, fournissant des cavaliers, des frondeurs ou des archers pour l'avant-bataille. Agricola, au mont Graupius, a voulu économiser le sang romain; il a mis en première ligne ses cohortes de Bataves et il a gardé en réserve les légionnaires: c'est très différent. En tout temps, Rome a utilisé les capacités et spécificités des différents peuples qui constituaient son empire. Haynes consacre quelques pages aux Iraniens, aux Daces, aux célèbres archers syriens, et aux Bataves. D'autres Germains auraient mérité une place dans cette énumération (Michael P. Speidel: Ancient Germanic Warriors, Londres 2004, XIV-313 p.), ainsi que les cavaliers Gaulois et Ibères.
Nous revenons à un aspect plus civil de ces soldats avec la question de la culture, orale (301-311) et écrite (313-336). Les tablettes de Vindolanda et les papyrus égyptiens fondent une étude qui peut être enrichie grâce aux documents trouvés à Windisch et aux ostraka divers, notamment de Bu Njem. Hélène Cuvigny a formulé de bonnes remarques sur les langues parlées par les auxiliaires égyptiens et leurs familles; peu savaient lire et écrire; en cas de besoin, ils devaient faire appel au lettré de l'unité. Les femmes et les Égyptiens étaient illettrés (Didymoi, Le Caire, 2011 et 2012). De même, le rôle des vétérans (339-367) éclaire la formation d'une société provinciale qui devait beaucoup aux auxiliaires et, à notre avis, peut-être plus aux légionnaires; c'est la conclusion de ce livre. On y relèvera la reprise d'un livre de Jean-Pierre Laporte consacré à Rapidum, dans l'Algérie actuelle, et qui montre l'étroitesse des liens entre le camp et la ville (356 sv).
L'ouvrage se clôt sur une bibliographie, dont nous avons déjà parlé, et sur des index (421-430). Nous pensons que ce livre, qui éclaire une partie de l'histoire des auxiliaires, deviendra un manuel (pour l'autre partie, nous renvoyons à Cichorius et Eck). Il y avait le Cheesman; il y aura dorénavant le Haynes.
Yann Le Bohec