Bénédicte Sère / Jörg Wettlaufer (eds.): Shame Between Punishment and Penance. The Social Usages of Shame in the Middle Ages and Early Modern Times (= Micrologus Library; 54), Firenze: SISMEL. Edizioni del Galluzzo 2013, XLIV + 451 S., einige s/w-Abb., ISBN 978-88-8450-482-1, EUR 77,00
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Issu des travaux du colloque international, organisé par Bénédicte Sère et Jörg Wettlaufer à Paris du 21 au 23 octobre 2010 et consacré à " La honte entre peine et pénitence. Les usages sociaux de la honte au Moyen Âge et à l'époque moderne ", ce recueil de contributions examine la honte comme objet historique, contribuant ainsi à l'écriture de l'histoire des émotions, portée à l'échelle internationale par Barbara H. Rosenwein [1] et à l'échelle nationale par Damien Boquet et Piroska Nagy. L'ouvrage reprend la problématique du colloque - mais pas l'intégralité des interventions - en cherchant à cerner au plus près ce qu'est la honte en tant qu'émotion sociale définie comme une intériorisation de la norme collective (XVII) et caractérisée par son lien intrinsèque à l'honneur, comme le souligne Claude Gauvard (XI-XIV) en préface.
En se plaçant à la croisée de l'histoire religieuse et de l'histoire des normes juridiques, l'ouvrage appréhende la honte dans une démarche transdisciplinaire en réunissant historiens, anthropologues, sociologues et spécialistes du droit, tout en embrassant d'une part une chronologie large s'étendant de l'Antiquité au monde contemporain - avec une mise en lumière des périodes médiévale et moderne - et d'autre part, une imposante aire géographique s'étirant de l'Occident au Japon et à l'Indonésie en passant par le Rwanda. S'appuyant sur des sources religieuses et des sources judiciaires afin d'illustrer à la fois la dimension de peine et celle de pénitence, l'ouvrage s'organise autour de quatre axes.
Le volume s'ouvre sur la question du rôle de la sémantique de l'honneur et de la honte (5-102) au travers de cinq articles faisant le grand écart entre la Rome antique (J.F. Thomas 5-22) et la Frise du XIIIe siècle (H. Nijdam 65-88) en passant par la fin de l'Antiquité (V. Burrus 23-48) et les premiers siècles du Moyen Âge (B. Dumézil 49-64; R. Meens 89-102).
La deuxième partie (105-193) scrute les liens entre la honte et la pénitence en se concentrant notamment sur les discours religieux des XIIe et XIIIe siècles, période qui semble avoir constitué un tournant dans l'appréhension de la honte en particulier avec le canon 21 du concile de Latran IV (1215) portant sur la pratique de la pénitence. Ainsi, l'analyse minutieuse des réflexions des théologiens (S. Vecchio 105-121; C. Vincent 157-175), des scholastiques (B. Sère 123-138), des hagiographes (D. Boquet 139-155) et des prédicateurs (F. Morenzoni 177-193) permet de mettre au jour une distinction chère à la période médiévale : la bonne honte sauve tandis que la mauvaise honte tue.
Avec la troisième section (197-346), c'est l'autre pan de la problématique posée par le colloque qui est explorée, en précisant les rapports entretenus par la honte et la peine dans le cadre judiciaire. Cette partie met ainsi l'accent sur les peines infamantes (M. Ingram 285-308) et les humiliations publiques (J. Wettlaufer et Y. Nishimura 197-228; F. Neumann 263-284) orchestrées par les autorités judiciaires civiles s'inspirant des procédures ecclésiastiques. La manipulation des émotions liées à la culpabilité (J. Claustre 229-246; D. Nash 329-346) et au stress (D. L. Smail 247-262) est notamment mise en évidence dans les procédures judiciaires découlant de questions financières : la perte de crédit économique et moral montre l'ampleur des jeux de domination dans le " faire honte " de la justice. Dans ces rapports de force, le genre tient visiblement une place particulière, la honte étant étroitement rattachée à l'honneur des femmes dans la parenté (S. Lidman 309-327).
Enfin, la quatrième et dernière partie (349-419) se propose de lancer quelques pistes vers de nouvelles recherches en creusant la question de la culture et du pouvoir de la honte dans les sociétés (S. Tisseron 389-404), cette émotion assurant en partie le fonctionnement des groupes sociaux notamment dans le processus de réintégration sociale (P. M. Münster 349-367; A. Paul 369-388; B. Röttger-Rössler 405-419).
Pour aider le lecteur à se repérer plus aisément dans cet ouvrage foisonnant et rédigé en trois langues (neuf textes en français, neuf en anglais et deux en allemand), les contributions sont accompagnées d'un index des noms, des lieux et des thèmes (443-451) qui combine termes français, anglais, allemands et latins, mais aussi de brèves présentations des différents contributeurs (431-439). De plus, chaque exposé se clôture sur un résumé en anglais, tandis que les grandes lignes de l'analyse sont présentées dans la double introduction de l'ouvrage - l'une en français (XVII-XXX), l'autre en anglais (XXXI-XLIV) - et synthétisées dans la conclusion (N. Bériou 421-430).
Au sortir de la lecture de ce livre particulièrement dense et fécond, nous pouvons cependant exprimer deux regrets : l'un de forme et l'autre de fond. D'une part, chaque contribution aurait sans doute pu être accompagnée d'une bibliographie récapitulative qui aurait guidé le lecteur dans les approches très éclectiques du volume. D'autre part, on aurait aimé davantage d'approches recourant au concept de genre, car de toute évidence, et certaines contributions le suggèrent, la honte n'a assurément pas la même intensité sociale et la même implication émotionnelle pour les deux sexes.
Notes:
[1] Barbara H. Rosenwein: Worrying about Emotions in History, in: The American Historical Review 107 (2001) 821-845.
[2] Piroska Nagy / Damien Boquet (éds.): Le sujet des émotions au Moyen Âge, Paris 2009.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle