Gervase Rosser: The Art of Solidarity in the Middle Ages. Guilds in England 1250-1550, Oxford: Oxford University Press 2015, XIV + 235 S., 8 s/w-Abb., ISBN 978-0-19-820157-1, GBP 60,00
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Ce livre se propose d'entrer dans la question, née dans l'Antiquité mais toujours vivante et actuelle, des relations entre l'individu et la communauté. Il le fait à partir d'une analyse des assemblées d'habitants et de travailleurs dans l'Angleterre des XIIIe-XVe siècles, qu'il renforce par de nombreux aperçus européens. L'auteur s'attache à montrer comment les hommes et les femmes ont cultivé la solidarité en donnant leur temps, leur argent et leur travail pour développer des projets de toutes sortes utiles à la communauté des vivants et des morts. Même s'il n'entend idéaliser ni les corporations, ni les êtres humains qui les ont animées, le livre n'en est pas moins un vibrant plaidoyer pour ces institutions qui se dit dans la construction du livre, dans les titres et sous-titres des chapitres et dans la faible part réservée à l'étude des conflits et des exclusions.
Le premier chapitre intitulé "Immunity" brosse un tableau général de l'histoire de ces institutions depuis leur multiplication à la fin du XIIIe siècle jusqu'à leur interdiction au milieu du XVIe siècle. Il explicite le projet du livre qui n'est pas d'entrer dans la structure des corporations mais plutôt de montrer leur rôle social, politique et moral car ces angles d'analyse sont les plus à même de nourrir les débats du présent. Le chapitre retrace alors l'histoire de ces débats très vite devenus binaires, opposant les valeurs partagées de la communauté aux droits des individus ; il le fait en les resituant très bien dans leur époque et il montre comment s'est figée cette opposition entre l'individu et la communauté. Il introduit les penseurs contemporains qui ont essayé d'en dépasser la rigidité au profit d'une exploration des interrelations entre l'individu et la communauté. Parmi les penseurs importants de cette reconfiguration entre le groupe et l'individu, on a toutefois regretté l'absence d'Axel Honneth dont l'œuvre est très forte sur le thème. A partir de là, le livre déroule sa démonstration en partant des principes moraux que véhiculent ces associations (chapitre 2 "Ethics" et chapitre 3 "Friendship"), de la manière dont ils s'incorporent dans les individus à travers les fêtes et les rituels (chapitre 4 "Sacrament") pour entrer plus concrètement, dans les deux derniers chapitres, dans les enjeux sociaux de l'époque en montrant toute l'importance de la confiance dans la société médiévale et plus particulièrement dans le monde du travail (chapitre 5) et en mettant en avant le rôle de ces institutions dans la création d'un sentiment de communauté primant sur les intérêts individuels (chapitre 6).
Ainsi, le chapitre "Ethics" mêle l'histoire des raisons morales qui président à la création des confraternités à leur organisation. L'amour du prochain et la charité en sont les fondements. Ils sous-tendent la volonté de moraliser les conduites, de pacifier les conflits et de prendre soin, outre de ses membres dans le besoin, de tous ceux qui ne peuvent pas ou plus travailler pour subvenir à leurs besoins comme les vieillards, les infirmes, les malades, les orphelins ou ceux que le malheur a frappé. Ce mélange entre des principes moraux et des réalisations charitables informe les identités en construisant les membres de ces associations en êtres moraux, tout en leur assurant un statut et en leur donnant une assurance contre les mauvais jours.
Au cœur des relations entre les membres se place l'amitié. Le chapitre qui lui est consacré est riche mais se perd un peu dans des généralités sur l'histoire des émotions et l'on regrette qu'après les avoir énoncées, l'auteur n'ait pas analysé avec précision les différents types d'amitié qui peuvent coexister dans ces associations. De plus, le langage de l'amitié ne leur est pas propre : il traverse l'ensemble du corps social à commencer par l'aristocratie pour laquelle l'amitié est une valeur centrale qui se dit aussi dans le langage de la parenté. On touche là à une des difficultés du sujet du livre qui est que le contexte social dans lequel il doit être appréhendé change en fonction des angles d'analyse. On peut ainsi se demander si il y a une spécificité morale de ces associations par rapport aux autres groupes sociaux qui structurent la société comme la noblesse ou le clergé et si elles ont une manière spécifique de construire leurs réseaux sociaux dans un monde particulièrement incertain et dans lequel l'Etat n'apporte pas encore de filets sociaux capables de protéger les individus ?
La morale comme les réseaux sociaux s'entretiennent et c'est à ce travail que se consacre le quatrième chapitre. Rituels et repas communs sont, écrit Rosser, de la politique sociale en action en même temps qu'ils permettent d'entretenir les réseaux horizontaux, mais également verticaux, qui sont au cœur de ces fraternités. Il montre en même temps l'inquiétude des religieux face à ces fêtes où le plaisir de boire et de manger risque de l'emporter sur le sérieux du rituel, même si ces fêtes sont toujours accompagnées de gestes charitables à l'intention des pauvres et des malades.
De fait, l'entretien de réseaux sociaux est au cœur des stratégies de survie de toutes les classes populaires. Le chapitre 5 se concentre alors sur les associations de travailleurs. Il remet en question la rigidité de ces organisations au profit d'une image plus dynamique et il souligne leur vitalité interne et leurs capacités d'adaptation aux évolutions des diverses industries. Il insiste également avec raison sur l'importance du crédit que ces corporations offrent à leurs membres en cas de besoin. Toutefois, l'opposition qu'il propose entre une Europe du nord ouverte aux contrats oraux et une Europe du sud marquée par le droit romain qui fait inscrire chez le notaire les plus petits engagements de crédit que les paysans font entre eux est trop tranchée : dans l'Europe du Sud, chacun est également à la fois prêteur et emprunteur et les relations de prêt ont déjà une longue histoire avant d'être formalisées par un acte notarié. La notion de marge est également questionnable car la pauvreté est un risque qui est partagé par tous ceux qui n'ont que leur travail pour vivre : il est donc au cœur des économies populaires et c'est pourquoi il était autant important, comme le souligne ensuite l'auteur, de développer des liens ouvrant vers le plus possible de diversité socio-économique. C'est dans ce cadre que se situent les exclusions avec, au premier chef, celle des femmes, dont on aimerait mieux comprendre la géographie européenne. On aimerait mieux saisir également les répercussions dans le monde du travail des tensions que les conjonctures économiques générales, comme particulières entre les métiers et en leur sein font naître ou exacerbent.
Les tensions sont également visibles dans le dernier chapitre où les associations d'habitants ont permis aux villageois et aux citadins de s'opposer à la domination des abbayes et de gagner des batailles pour le contrôle des marchés et pour la mise en place d'institutions utiles au bien commun. L'expansion du pouvoir royal, qui ne s'est pas non plus faite sans friction, témoigne aussi de la capacité de résilience de ces associations d'habitants.
En refermant le livre, on se demande toutefois si la thèse qu'il propose ne devrait pas être généralisée et si l'art de la solidarité ne serait pas, par delà les corporations, une obligation face à l'insécurité de toutes les vies. Ce faisant, le thème du risque deviendrait un acteur fondamental du débat.
Laurence Fontaine