Georgia Petridou: Divine Epiphany in Greek Literature and Culture, Oxford: Oxford University Press 2015, XV + 411 S., 14 s/w-Abb., ISBN 978-0-19-872392-9, GBP 95,00
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Jan-Mathieu Carbon / Saskia Peels-Matthey (eds.): Purity and Purification in the Ancient Greek World. Texts, Rituals, and Norms, Liège: Presses Universitaires de Liège 2018
Christopher A. Faraone / F. S. Naiden (eds.): Greek and Roman Animal Sacrifice. Ancient Victims, Modern Observers, Cambridge: Cambridge University Press 2012
Theodora Suk Fong Jim: Sharing with the Gods. Aparchai and Dekatai in Ancient Greece, Oxford: Oxford University Press 2014
Si les épiphanies divines ont suscité un intérêt certain ces dernières années, les études sur le sujet se sont principalement concentrées sur les sources iconographiques et il manquait toujours une étude d'ensemble de la question. Le livre de Petridou vient brillamment combler cette lacune. L'étude est basée sur les sources littéraires et épigraphiques allant du VIIe au IIe siècle de notre ère, tout en se référant aux études iconographiques. Les quelques exemples iconographiques évoqués sont d'ailleurs finement et pertinemment analysés. Petridou fait plus que présenter l'ensemble du dossier, en examinant les sources dans leur cadre social et politique et en mettant en lumière les réactions suscitées par ce phénomène à la fois chez les individus concernés et les cités. L'organisation du livre en huit chapitres avec des renvois internes, permet ainsi un aperçu complet et attentivement présenté des apparitions des dieux parmi les hommes.
L'état de la question développé dans l'introduction, permet au lecteur de situer cette œuvre dans le cadre de la recherche moderne sur le sujet de l'épiphanie. L'épiphanie, définie par Petridou comme l'apparition d'une divinité à un individu ou à un groupe, dans le sommeil ou lors de la veille, lors d'une crise ou dans un contexte cultuel (2), permet de cerner à la fois ce que les Grecs pensaient de leurs dieux et les préoccupations manifestées selon le contexte socio-historique donné. L'étude des dieux épiphaniques d'une part et de la fonction sociale et politique des épiphanies d'autre part, permet de mettre en lumière leur impact sur la perpétuation et sur la création de nouvelles structures de pouvoir. L'épiphanie est ainsi traitée comme une construction culturelle.
La morphologie des épiphanies est examinée dans le premier chapitre sous ses différentes formes. Les épiphanies anthropomorphiques, caractérisées par la beauté, la taille, l'éclat et le parfum, signes perçus par les plus nobles des humains, permettent de mettre en lumière la différence du corps humain et du corps divin. Loin de se limiter à cet aspect des choses, Petridou analyse également le rôle des épiphanies lorsqu'elles sont mises en scène par des humains dans un contexte cultuel. En jouant sur les signes divins et leurs attributs, l'imitation du divin lors des fêtes, parfois par les prêtres, permet aux spectateurs de voir la divinité tout en reconnaissant l'humain. Suivent les épiphanies à travers la statue de la divinité. Animée par le dieu, elle est perçue par un public préparé. L'épiphanie repose aussi sur les attentes du public, notamment lors des fêtes de l'arrivée de dieux comme Dionysos à Athènes, Iacchos et Déméter à Éleusis. Les diverses manières qu'utilisent les dieux pour se manifester aux humains sont examinées à travers l'analyse des phasmata qui apparaissent souvent dans les cultes à mystères, des parties de dieux qui les représentent par synecdoque ou pars pro toto, comme un animal, une plante ou un attribut agissant dans un contexte rituel. Petridou prend également en compte les épiphanies métonymiques où les dieux sont représentés par l'objet ou la matière qui indiquent leurs aires d'influence, les formes animales voire les épiphanies amorphes, manifestées par le pouvoir des dieux et en particulier par des phénomènes naturels extraordinaires.
Le rôle des épiphanies dans des contextes de crise est analysé dans le deuxième chapitre. Il s'agit en particulier d'épiphanies anthropomorphes dans les contextes de batailles où elles sont partie intégrante du discours diplomatique. Le cas des cités assiégées est examiné séparément car il implique un public plus large que celui des seuls guerriers. Dans ces cas, les dieux apparaissent sous une forme reconnaissable pour les assiégés mais amorphe pour les assiégeants, faisant preuve d'un "bilinguisme divin" (141). Des stratagèmes sont aussi inventés, principalement par des magistrats ou des prêtres lors de situations exceptionnelles, mettant en scène des épiphanies afin de manipuler l'opinion publique et attestant de la popularité et de l'efficacité des épiphanies en état de crise.
Les épiphanies dans le cadre des cultes guérisseurs sont examinées dans le troisième chapitre. Des divinités précises sont ici privilégiées, comme Apollon, concerné surtout par la santé de la communauté, et Asclépios, qui s'occupe plus spécialement des traitements individuels. Les diverses variantes de l'incubation sont examinées dans cette perspective en tant qu'outil à la fois de diagnostic et thérapeutique.
Le quatrième chapitre examine les dieux qui apparaissent dans des lieux lointains (in remotis) et solitaires, comme les grottes et les montagnes qui deviennent des lieux d'inspiration. À côté des lieux privilégiés pour les épiphanies, Petridou examine les activités dans lesquelles sont impliqués les humains comme les voyages, la conduite des animaux aux pâturages ou la pêche. L'heure des apparitions est alors souvent le midi, heure solitaire et dangereuse. Dans ce cadre, les épiphanies initient la capacité divinatoire ou l'inspiration poétique; ils mènent parfois le personnage inspiré vers une forme créatrice particulière.
Le cinquième chapitre examine le contexte spatio-temporel des épiphanies érotiques qui finissent généralement par une union sexuelle entre un dieu ou une déesse et un(e) mortel(le). Outre les lieux de ces épiphanies souvent éloignés, prairies et berges de fleuves pour les jeunes femmes, souvent des montagnes pour les jeunes gens, la condition dans laquelle se trouvent les personnes désirées est celle du sommeil où les rêves les préparent à l'union sexuelle. Petridou examine encore les formes que prennent les dieux pour s'unir aux mortels, ainsi que les stratagèmes d'humains mis en place pour s'unir à la personne de leur choix. Tous ces aspects sont examinés en rapport avec les règles qui gèrent les relations sexuelles et de procréation, vues ici dans le contexte d'une société qui permet d'expliquer certains écarts de conduite par des épiphanies érotiques.
Le sixième chapitre s'attache aux épiphanies dans le cadre des cultes, en particulier des cultes à mystères qui provoquent une rencontre directe avec la divinité. La vue ritualisée et le cadre rituel permettent aux initiés de voir au-delà d'identifications culturellement construites. La théâtralisation permet d'aller dans le même sens. Pour ce qui est des Mystères éleusiniens, Petridou associe, au moyen d'une fine analyse, le texte de l'Hymne homérique à Déméter à la célébration, faisant correspondre les trois niveaux de l'initiation, la phase préliminaire qu'elle identifie à une proteleia, la muêsis et l'epopteia, aux trois apparitions de la déesse dans le poème, à savoir son arrivée à Éleusis, son entrée dans la maison de Kéléos et son épiphanie à Métanire. La différence avec les épiphanies considérées jusqu'ici consiste au savoir mystique qu'elles permettent d'acquérir à la suite d'une préparation appropriée. Par ailleurs, les fêtes lors desquelles les épiphanies sont mises en scène commémorent souvent une épiphanie salvatrice. Elles ont pour rôle, comme les sacrifices, d'attacher la divinité à un lieu précis ou de l'y faire revenir.
Le septième chapitre examine le cas particulier des fêtes à théoxénies - au sens large du terme - au cours desquelles les dieux sont invités à prendre place à la table des hommes. Sont examinés en particulier les cultes des Dioscures et d'Héraclès, mais aussi le cas de théoxénies perverties dans le culte de Zeus Philios. Les épiphanies de Dionysos en voyage, la parousie de Déméter, notamment à Éleusis, sont caractéristiques d'un contexte local dominé par les rivalités politiques entre membres des élites: les apparitions divines soutiennent les vues politiques des uns ou des autres.
Le dernier chapitre, en guise de conclusion, reprend les thèses qui sillonnent le livre en les situant dans une perspective sociopolitique, mesurant les répercussions culturelles des divers types d'épiphanie à la fois pour les individus et les cités. Les apparitions divines permettent de gérer les crises, elles ont une fonction explicative en tant qu'aitia, principalement de l'établissement d'un culte, elles attribuent à leur récipiendaire une autorité incontestable, validée par un prestige envoyé par les dieux. Loin d'informer uniquement sur les dieux, les épiphanies forment ainsi des valeurs sociales.
La richesse de ce livre ne vient pas seulement du traitement exhaustif des sources et des contextes, analysés avec acuité et précaution méthodologique, posant ainsi souvent des questions qui n'appellent pas nécessairement une réponse. Les diverses versions de chaque épiphanie sont examinées tour à tour dans leur contexte propre. Le refus, assumé, de distinguer entre épiphanies mythologiques et historiques, permet de s'attacher au contexte culturel et de s'affranchir d'une distinction moderne qui cantonne les partis pris idéologiques de la culture étudiée aux termes de véracité. Si l'on peut regretter certains développements manquants, quelques reconstructions historiques - comme celle supposant une connexion agraire à Athéna avant l'arrivée de Déméter à Athènes (160), ou le peu d'attention qui est parfois portée aux noms aboutissant à des assimilations hâtives (173), certaines expressions plus ou moins obscures comme "a most heroic divine manifestation" (147), ou les "Plyntéries argiennes" qui mériteraient une plus ample explication (275), il n'en reste pas moins que ce livre, excellemment écrit et organisé, permet de rafraichir notre regard sur les cultes en général et le rôle qu'y jouent les épiphanies divines en particulier.
Ioanna Patera