Rezension über:

Alice Borgna: Ripensare la storia universale. Giustino e L'Epitome delle Storie Filippiche di Pompeo Trogo (= SPUDASMATA. Studien zur Klassischen Philologie und ihren Grenzgebieten; Bd. 176), Hildesheim: Olms 2018, 294 S., ISBN 978-3-4871-5660-6, EUR 54,00
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Rezension von:
Bernard Mineo
Université de Nantes
Redaktionelle Betreuung:
Matthias Haake
Empfohlene Zitierweise:
Bernard Mineo: Rezension von: Alice Borgna: Ripensare la storia universale. Giustino e L'Epitome delle Storie Filippiche di Pompeo Trogo, Hildesheim: Olms 2018, in: sehepunkte 19 (2019), Nr. 1 [15.01.2019], URL: https://www.sehepunkte.de
/2019/01/32045.html


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Alice Borgna: Ripensare la storia universale

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La monographie de 294 pages (dont 42 de bibliographie et un riche index) que publie Alice Borgna, Ripensare la storia universale. Giustino e l'Epitome delle Storie Filippiche di Pompeo Trogo, vient heureusement combler un vide dans les études consacrées aux Histoires Philippiques de Trogue Pompée et à l'Abrégé de Justin. Il s'agit d'un ouvrage remarquable à tous égards. Dans la forme, on appréciera un texte écrit dans une langue claire, limpide, précise, élégante. Dans le fond, il s'agit d'une étude riche, caractérisée par une admirable finesse d'esprit, une rigueur scientifique impeccable, un propos convaincant, permettant une véritable percée scientifique et offrant une synthèse d'excellente qualité sur le sujet.

L'introduction commence par une remarquable mise au point sur l'ensemble des informations dont nous disposons sur Trogue Pompée et Justin. Borgna y rend compte également de sa méthode et de ses objectifs. Il s'est agi pour elle de tenir compte de la technique de l'épitomateur et de déterminer la nature des transformations opérées par Justin afin de vérifier de la sorte si celui-ci a compromis ou non la qualité de l'information historique que Trogue Pompée avait voulu offrir à ses lecteurs.

Sur Trogue Pompée lui-même, Borgna se prononce avec raison en faveur de l'hypothèse selon laquelle l'aïeul ayant reçu le premier la ciuitas aurait été le grand-père (auus) de l'auteur et non pas son bisaïeul (proauus) comme le suggéraient certains; de même, Borgna discrédite la position de ceux qui voulaient que le C. Caesar au service duquel s'était trouvé le père de Trogue Pompée fût le fils de Julia et d'Agrippa, et non point le conquérant des Gaules. L'auteur fait ici valoir l'absurdité d'une position qui conduisait à introduire un écart de 60 ans entre le père de Trogue Pompée, supposé avoir servi lors de la campagne de C. César en Orient entre 1 avant J.-C. et 1 après, et son frère, dont on sait, sans le moindre doute, qu'il avait servi Pompée lors de la dernière campagne contre Mithridate qui s'était achevée en 63 avant J.-C. Borgna suggère pour sa part que le personnage de Pompée intervenant en qualité d'interprète dans la Guerre des Gaules serait le père de l'auteur des Histoires Philippiques. Cette proximité du père de Trogue Pompée avec César rendrait compte, au demeurant, du goût du fils pour le style indirect, que Trogue Pompée père aurait appris à apprécier en servant l'auteur des fameux Commentaires.

Concernant le choix du titre des Histoire Philippiques, Borgna fait valoir à juste titre l'importance de la place de la Macédoine dans l'économie de l'œuvre. Peut-être aurait-il fallu ici aller un peu plus loin et suggérer qu'il s'agissait en réalité de l'histoire des royaumes 'philippiques', que nous appellerions aujourd'hui 'histoire hellénistique', et que Trogue Pompée a traitée jusqu'à son terme, à savoir la bataille d'Actium traitée au livre 40, avant d'illustrer dans la suite de son récit la nouvelle orientation du monde sous les auspices augustéens.

Le grand mérite de cet ouvrage tient aussi à l'analyse minutieuse de la technique de l'épitomateur. Une comparaison serrée du texte de Justin avec les Prologues permet de démontrer que Justin a modifié l'équilibre des livres, en plaçant différemment certaines figures à l'intérieur de la narration. Ainsi, au Livre IX, Justin a-t-il choisi de faire figurer Philippe II au cœur de son récit. Borgna a fort bien compris que l'épitomateur n'avait pas fait d'effort particulier pour respecter l'équilibre de son modèle et pour maintenir la continuité narrative des événements politiques. L'analyse conduite par Borgna démontre de la sorte que Justin a choisi de privilégier anecdotes, piques, éléments insolites, mirabilia, figures de femmes ambitieuses, autant de choix opérés au détriment des aspects tactico-stratégiques. On comprend dès lors qu'il ne faut guère espérer pouvoir comprendre grand-chose à l'histoire des divers pays évoqués dans le récit de Justin en usant du seul témoignage de l'Abrégé.

Borgna a donc pu illustrer comment Justin, en raison des logiques propres à sa poétique, a délibérément modifié le contenu de son modèle pour l'adapter au goût de son public, avide de sensationnel. Ainsi fait-il périr tous les fils d'Alexandre de la main du seul Cassandre alors que l'un d'entre eux avait été occis par Polypercon, comme nous l'apprend le Prologue correspondant. L'accession au trône de Ptolémée VIII fait l'objet de semblables distorsions, le personnage devenant comptable de trois assassinats, au lieu de deux dans le récit initial, et ce avec l'ajout de détails scabreux. De même pour l'assassinat du roi Eucratidès par son fils: il semblerait en réalité qu'aucune source ne fasse état de cette histoire, et que Justin ait utilisé le modèle de l'assassinat de Servius Tullius par Tarquin le Superbe et Tullia pour élaborer ce récit. Borgna est aussi d'avis que l'insistance dans le texte de Justin sur les liens endogamiques scandaleux serait le fait de Justin, car elle estime peu probable qu'un historien tel que Trogue Pompée n'ait pas placé ces événements dans une perspective plus large. Sur ce point, il nous semble que Borgna a raison de penser que Justin a porté un intérêt tout particulier à cet aspect de la royauté hellénistique. Mais il est assez vraisemblable aussi que Trogue Pompée, dont le propos nous paraît avoir été de décocher ses 'philippiques' à l'encontre de ce type de régime, avait dû déjà pointer complaisamment du doigt des pratiques qui devaient être rejetées par les lecteurs romains contemporains de l'historien voconce. Concernant le rejet par Trogue Pompée du style direct, Borgna récuse à juste titre l'hypothèse émise par Luis Ballesteros Pastor pour qui Justin aurait ici énoncé une contre-vérité pour pouvoir mettre au style indirect le discours de Mithridate, en se prêtant à une sorte de jeu littéraire. Borgna démontre avec beaucoup de finesse que c'est bien l'inverse qui s'est produit, et que les quelques passages au style direct que l'on trouve dans l'Abrégé sont le fait de Justin qui aurait voulu user de la recta oratio pour prêter une plus grande intensité dramatique à des récits bien faits pour émouvoir ses lecteurs. Au reste, le goût de Trogue Pompée pour l'obliqua oratio correspond bien à la réputation de cet auteur qui passait pour être un uir priscae eloquentiae.

Touchant la datation de Justin, un dossier très complexe et délicat, Borgna nous paraît avancer des arguments très sérieux bien propres à nourrir notre réflexion sur le sujet. S'appuyant sur la remarquable étude lexicale de John Yardley, celle-ci fait en outre apparaître de nettes convergences thématiques avec les écoles de rhétorique (les aventure d'Alexandre le Grand, la fréquence des épisodes de violences sexuelles, les expositions d'enfants ...). Elle relève aussi, dans l'anecdote qui voudrait que les Macédoniens eussent placé leur roi nouveau-né derrière leur armée, des ressemblances avec le Panégyrique de Nazarius prononcé en 321. Une analyse très fine convainc d'autre part le lecteur que Nazarius a ici plus probablement utilisé Justin que Trogue Pompée, de sorte que 321 après J.-C. pourrait devenir le terminus ante quem de l'Abrégé.

À travers plusieurs légendes, comme celle relative à la fondation de Rome, Borgna relève également la démarche scientifique et rationalisante de Trogue Pompée et souligne les éléments le séparant de l'aristotélisme. Borgna dégage tout aussi bien l'intérêt particulier que Trogue Pompée portait à l'ethnographie et à l'histoire locale. L'importance particulière accordée dans son récit à Marseille est interprétée quant à elle comme une sorte de plaidoyer en faveur d'une cité qui avait refusé d'épouser le parti de César.

L'analyse que propose Borgna de la philosophie de l'histoire de Trogue Pompée est également très convaincante et particulièrement fine. Après avoir mis en lumière les facteurs déterminant l'évolution historique et notamment le déclin de la Macédoine (discordia, cupiditas imperii, luxuria, libido, disparition de la moderatio et de l'aemulatio imperii), Borgna récuse très justement les analyses de ceux qui ont voulu voir en Trogue Pompée un historien hostile à Rome et / ou à Auguste, et montre que l'historien, en utilisant le cas d'étude que constituait le royaume de Macédoine, a voulu adresser une forme d'avertissement à Rome afin de prévenir les risques de déclin ou d'y remédier. Pour aller dans le même sens que Borgna, on fera remarquer que celle-ci aurait également pu arguer de ce que la démarche de Trogue Pompée correspond à celle de la plupart des intellectuels de son époque (Cicéron, Salluste, Tite-Live) qui tous eurent à cœur de réfléchir aux moyens de remédier au déclin de Rome dans la perspective cyclique qu'ils avaient en partage, ce qui n'en faisait certes pas des auteurs hostiles à Rome. Borgna a donc parfaitement raison de penser que loin de constituer une attitude anti-romaine, cette approche témoigne en réalité du loyalisme de l'historien voconce.

Tout aussi convaincante est l'idée selon laquelle Trogue Pompée s'inscrit dans la polémique alimentée par Octavien dans le cadre de sa lutte contre Antoine et un Orient dans lequel il dénonçait un espace corrompu et corrupteur, dans la continuité idéologique d'un Caton. Au demeurant, Borgna relève très justement la tonalité célébrative entourant l'évocation des succès du princeps en Orient, contre les Parthes, en Occident, contre les Cantabres, et s'inscrit en faux contre ceux qui avaient cru pouvoir relever des indices d'hostilité à l'égard d'Auguste. On ne pourra également qu'apprécier la justesse du propos de Borgna lorsque celle-ci souligne la complémentarité des projets de l'Ab Vrbe Condita de Tite-Live et des Histoires Philippiques de Trogue Pompée: dans les deux cas, il s'est agi d'offrir des conseils aux Romains et au princeps quant à la façon de préserver l'Empire. Trogue Pompée et Tite-Live écrivent tous deux une histoire universelle où les nouveaux citoyens de Rome trouvent leur place, dans le respect de leurs exigences culturelles et de leurs traditions. En cela, les Histoires Philippiques feraient ressortir l'unité dans la diversité du monde romain, aux antipodes d'une quelconque opposition à Rome.

Il ne fait aucun doute que l'ouvrage que Borgna a offert à la communauté scientifique constitue une contribution importante pour les études consacrées à Trogue Pompée et à Justin, laquelle ne manquera pas de devenir une référence incontournable pour ceux qui entreprendront à leur tour d'étudier le sujet.

Bernard Mineo