Mollie M. Madden: The Black Prince and the "Grande Chevauchée" of 1355 (= Warfare in History), Woodbridge: Boydell Press 2018, XII + 248 S., eine Kt., 10 Tbl., ISBN 978-1-78327-356-0, GBP 60,00
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Michael Livingston / Kelly DeVries (eds.): The Battle of Crécy. A Casebook, Liverpool: Liverpool University Press 2015
L'ouvrage The Black Prince and the Grande Chevauchée of 1355 de Mollie M. Madden consacré à la Grande Chevauchée du Prince Noir de 1355 en Languedoc est tiré de sa thèse soutenue à l'Université du Minnesota. Il se consacre à l'un des épisodes les plus célèbres de la guerre de Cent Ans qui met pour la première fois en valeur la figure devenue quasi-légendaire du Prince Noir. Loin d'une histoire-bataille, Mme Madden cherche à situer la chevauchée dans un temps long, depuis ses préparatifs jusqu'à ses conséquences. La campagne du Prince Noir de 1355 peut être considérée comme un parfait cas d'étude permettant à l'historien de comprendre le fonctionnement d'une armée médiévale en marche. Et c'est justement cet aspect, tout à fait novateur, qui fait toute la valeur du livre de Mme Madden.
L'intérêt de la campagne du Prince Noir tient en trois points : le problème du transport par mer de troupes, de montures et de ravitaillement de l'Angleterre jusqu'à Bordeaux, la logistique d'une armée en campagne passant par des terres anglaises, alliées ou ennemies, et le lien entre les ressources et les infrastructures. L'abondante documentation, particulièrement bien conservée et scrutée par l'auteure, donne l'image d'une campagne militaire hautement organisée, grâce au développement d'une administration capable de recruter, d'équiper et de transporter une armée sur le terrain de bataille. La chevauchée du Prince Noir n'est pas le passage d'une bande de pilleurs désorganisés : les destructions font partie de son programme, dont le but principal est de pousser le comte d'Armagnac à la bataille et de restaurer et accroitre l'autorité anglaise en Gascogne.
Le livre est organisé en deux parties : d'abord les préparatifs, puis la campagne et ses suites. Les deux premiers chapitres sont consacrés à la mise en place de l'armée du Prince, sa planification, le recrutement des soldats et leurs soldes. Les trois chapitres suivants détaillent avec une précision scrupuleuse le trajet journalier parcouru par la chevauchée de Bordeaux à Narbonne et montrent comment la logistique a influencé les décisions du prince et de ses commandants. L'armée ne peut pas simplement vivre sur le pays ; elle achète la majorité de son ravitaillement et le complète par le pillage des châteaux et des villes ennemies. Le chapitre suivant évoque le retour de Narbonne à Bordeaux et montre comment la logistique a influencé l'itinéraire de retour du prince, au début de l'hiver 1355. Les registres comptables montrent que le prince a été contraint d'adopter la route la plus dangereuse au risque de devoir affronter une bataille avec l'armée du comte d'Armagnac. Le dernier chapitre est consacré aux opérations d'hiver des capitaines du prince et au bilan financier de la chevauchée.
On l'aura compris : l'approche de l'historienne est celle d'une histoire économique et sociale de la guerre, mettant en avant les hommes, leurs montures, et leur équipement. Son étude rigoureuse et détaillée s'appuie sur les nombreuses chroniques contemporaines, en particulier celle de Geoffroi le Baker écrite vers 1357-1360, ainsi que les registres de l'Échiquier et de la Chancellerie, dont le compte de campagne du trésorier de la chevauchée.
Toutes ces informations permettent à Mollie Madden de préciser le recrutement d'une armée qu'elle estime autour de 5 à 6000 combattants, soit au total 8 à 9000 hommes en comptant les non-combattants. Un groupe d'hommes qu'il faut rétribuer selon un mode de paiement standardisé journalier : 4 sous pour un chevalier banneret, 2 sous pour un simple chevalier, 1 sou pour un sergent ou homme d'armes, et 6 deniers pour un piéton ou archer monté. Le commandement est composé d'hommes expérimentés, ayant servi à Crécy, dont onze chevaliers de l'ordre de la Jarretière, tous unis autour du prince, et des seigneurs gascons comme le Captal de Buch, qui apportent la connaissance du terrain. L'armée est divisée en trois batailles. Le Prince Noir dispose d'un outil de guerre organisé et aguerri qui parcourt en moyenne 23 km par jour. Le succès de la chevauchée est absolu. Le refus de bataille du comte d'Armagnac et les destructions commises sur ses terres par l'armée anglaise provoquent le ralliement de nombreux seigneurs gascons au roi d'Angleterre et restaurent son autorité dans la région. Au total, l'armée anglaise a parcouru 975 km en 59 jours, détruisant villes, châteaux, et infrastructures et revient à Bordeaux, chargée de butin, sans grandes pertes humaines.
La rigueur de l'écriture et de la recherche historique, les aperçus nouveaux que cet ouvrage propose sur cet épisode-phare de la guerre de Cent Ans, ainsi que les documents présentés en appendice comme la liste des bateaux de la flotte du prince et leur origine, celle des commandants de l'armée, des capitaines des archers, et des administrateurs, le calendrier détaillé de la chevauchée et la bibliographie abondante, offrent au lecteur une vision renouvelée de la guerre à la fin du Moyen Âge et à l'historien de la guerre une méthode pour de nouveaux champs d'études.
Sophie Brouquet