Andrea Worm: Geschichte und Weltordnung. Graphische Modelle von Zeit und Raum in Universalchroniken vor 1500, Berlin: Deutscher Verlag für Kunstwissenschaft 2021, 560 S., 341 Farb-, 3 s/w-Abb., ISBN 978-3-87157-243-2, EUR 149,00
Inhaltsverzeichnis dieses Buches
Buch im KVK suchen
Bitte geben Sie beim Zitieren dieser Rezension die exakte URL und das Datum Ihres Besuchs dieser Online-Adresse an.
Diese Rezension erscheint auch in KUNSTFORM.
Guillaume de Digulleville: Le Pelerinage de Vie humaine - Die Pilgerreise ins Himmlische Jerusalem. Faksimile und Edition des altfranzösischen Textes mit deutscher Übersetzung. Ediert, übersetzt und kommentiert von Stephen Dörr, Frankwalt Möhren, Thomas Städler und Sabine Tittel. Herausgegeben von Veit Probst, Darmstadt: Wissenschaftliche Buchgesellschaft 2012
Jeffrey F. Hamburger / Eva Schlotheuber / Susan Marti et al.: Liturgical Life and Latin Learning at Paradies bei Soest, 1300-1425, Münster: Aschendorff 2016
Joni M. Hand: Women, Manuscripts and Identity in Northern Europe, 1350-1550, Aldershot: Ashgate 2013
Klaus Gereon Beuckers / Beate Johlen-Budnik (Hgg.): Das Gerresheimer Evangeliar. Eine spätottonische Prachthandschrift als Geschichtsquelle, Köln / Weimar / Wien: Böhlau 2016
Christine Beier / Michaela Schuller-Juckes (Hgg.): Europäische Bild- und Buchkultur im 13. Jahrhundert, Wien: Böhlau 2020
Andrea Worm: Das Pariser Perikopenbuch und die Anfänge der romanischen Buchmalerei an Rhein und Weser. (Paris, Bibliothèque nationale de France, Ms. lat. 17325), Berlin: Deutscher Verlag für Kunstwissenschaft 2008
Pippa Salonius / Andrea Worm (eds.): The Tree. Symbol, Allegory, and Mnemonic Device in Medieval Art and Thought, Turnhout: Brepols 2014
Cet ouvrage dont le titre peut se traduire par Histoire et ordre du monde. Modèles graphiques du temps et de l'espace dans les chroniques universelles avant 1500 aborde les modes de visualisation graphique de l'histoire, ancêtres de nos frises chronologiques et autres arbres généalogiques, tels qu'ils furent élaborés, diffusés et développés entre le XIIe et le XVe siècles, en particulier dans les chroniques universelles. Il se distingue tant par ses qualités matérielles que par son apport historiographique. S'appuyant sur des recherches antérieures portant sur la visualisation de l'histoire et des relations de parenté au Moyen Âge [1], il vient combler un manque en étudiant de nombreux exemples de visualisations diagrammatiques. En outre, l'ouvrage, très riche (plus de 500 pages), comprend presque 300 illustrations d'excellente qualité, une bibliographie abondante, plusieurs index et un long résumé en anglais. Il est appelé à devenir un ouvrage de référence sur la question.
L'ouvrage s'inscrit dans une tradition historiographique déjà ancienne s'intéressant aux rapports entre les modes de visualisation du savoir (Aby Warburg), leur fonction mnémotechnique (Frances Yates) et leurs enjeux herméneutiques et en particulier théologiques (Anna Esmeijer). Cette tradition connaît une actualité importante depuis plusieurs années avec un intérêt marqué pour les schémas et diagrammes médiévaux, avec les contributions récentes notamment de Jeffrey Hamburger et de Jean-Claude Schmitt, mais aussi de Steffen Bogen, Félix Thürlemann et Kathrin Müller [2]. Dans ce cadre, Andrea Worm s'intéresse à un type spécifique de diagrammes, ceux consacrés à la visualisation de l'histoire, qu'elle appelle des "historiogrammes" et qui prennent la forme de lignes généalogiques, d'arbres ou de tableaux. Ces historiogrammes, qui remontent au XIIe siècle, tracent une ou plusieurs lignes entre l'histoire sacrée et l'époque contemporaine, des ancêtres du Christ aux papes, empereurs et rois, et présentent ainsi une vision synthétique de l'histoire.
L'ouvrage est composé de six chapitres, ordonnant chronologiquement des études de cas. Après une introduction rapide qui résume l'historiographie (chapitre I), l'auteure consacre une longue étude au XIIe siècle à partir de deux auteurs, Hugues de Saint-Victor et Pierre de Poitiers (chapitre II). C'est à cette époque en effet que l'étude de la Bible connaît des développements importants et qu'on voit apparaître un certain nombre de moyens graphiques dans la mise en page du texte et de ses gloses. Dans ce contexte, Hugues de Saint-Victor élabore deux ouvrages, le Chronicon et le Libellus de formatione Archae. Comme le montre Andrea Worm, bien que s'inscrivant dans la filiation d'Eusèbe de Césarée, dont les tables chronologiques servent de prototype pendant tout le premier Moyen Âge, l'ambition d'Hugues de Saint-Victor dans son Chronicon n'est pas la même. Il simplifie la liste des personnages et évènements importants mais ajoute le récit des six jours de la Création et se réfère aux six âges du monde. Pour Hugues, l'enjeu est de donner une image du monde et de l'histoire en entier. Le Libellus de formatione Archae, malgré ses différences avec le Chronicon, participe de la même intention, et met l'accent sur l'interprétation théologique de l'histoire universelle.
Andrea Worm étudie ensuite le Compendium historiae écrit à la fin du XIIe siècle par Pierre de Poitiers. Se présentant sous la forme d'arbres généalogiques avec des lignes et des cercles, il servira de modèle jusqu'à la fin du Moyen Âge. Copiés dans des codices ou sur des rouleaux, tel le très beau codex d'Harvard (Houghton Library, Ms. Typ 216) ici présenté par Andrea Worm, le texte et les diagrammes ont été parfois enluminés, et même ornés d'autres diagrammes qui complètent les arbres généalogiques (arche de Noé, plan de Jérusalem et de ses portes, etc.). Ces derniers renforcent le potentiel exégétique des historiogrammes en mettant en rapport différents éléments et moments de l'histoire sainte et contemporaine. La fin du deuxième chapitre est consacrée à la diffusion du modèle de Pierre de Poitiers au XIIIe siècle, en particulier en Angleterre.
Le troisième chapitre aborde le développement du même modèle au XIVe et au XVe siècles dans les manuscrits. L'auteure se concentre sur trois textes. La Chronologia Magna de Paolino Veneto, écrite au début du XIVe siècle, associe au modèle généalogique de Pierre de Poitiers une présentation sous forme de tableau, ce qui permet de mieux croiser les différentes informations. Les manuscrits de la Chronologia Magna comportent parfois des cartes, comme la belle Mappa mundi du BnF, Latin 4939. Souvent de très grande qualité, ils furent peu nombreux et surtout destinés à un public de cour. La Scala mundi, élaborée en Angleterre au milieu du XIVe siècle, fut également peu diffusée. Elle donne des informations chronologiques plus précises en s'appuyant sur l'astronomie et le comput. La Compilation nova de Giovanni da Udine, élaborée au milieu du XIVe siècle, constitue en revanche une des variantes de Pierre de Poitiers les plus diffusée au XIVe et au XVe siècles. Ses premières copies sont d'immenses rouleaux, richement enluminés, tel le très beau Princeton, UL, Scheide M 34. Giovanni da Udine reste assez fidèle à Pierre de Poitiers, reprenant l'historiogramme et ajoutant les mêmes diagrammes (arche de Noé, plan de Jérusalem et de ses portes, etc.), tout en y adjoignant des explications et un schéma en orbes concentriques.
Le quatrième chapitre d'aborde le passage à l'imprimé avec le Fasciculus temporum, publié pour la première fois en 1474 à Cologne. L'innovation graphique la plus visible est le passage d'une représentation verticale à une représentation horizontale, l'historiogramme se lisant désormais de gauche à droite, comme un livre. Ceci fait gagner en simplicité et en clarté. Andrea Worm étudie de manière détaillée l'histoire de cet ouvrage et des diagrammes, puis son immense diffusion, en latin et en langues vernaculaires.
Le cinquième chapitre est consacré pour l'essentiel au Rudimentum novitiorum. Contrairement au Fasciculus temporum, il fut très bien orné et peu diffusé. L'auteure montre (299 sqq.) comment le diagramme, tout en conservant la structure abstraite en cercles et lignes, a tendance à devenir une image, le nombre d'enluminures et de détails iconographiques devenant très présents. La première Mappa mundi imprimée participe également de cette tendance.
Le sixième chapitre est quant à lui consacré à la Chronique de Nüremberg d'Hartmann Schedel, publiée pour la première fois en 1493. L'auteure reprend l'étude de cet ouvrage bien connu, en le situant dans l'histoire des historiogrammes.
Geschichte und Weltordnung est sans aucun doute un ouvrage important, qui poursuit avec une grande précision historique et une rigueur philologique certaine les recherches sur les stratégies visuelles de représentation de l'histoire au Moyen Âge. Il faut saluer la richesse exceptionnelle du corpus autant que le détail et l'exhaustivité de la synthèse qu'en offre Andrea Worm. Ce livre offre des perspectives passionnantes pour les historiens et historiennes des sciences, de la religion, du livre et de l'art.
Notes:
[1] Voir notamment Gert Melville: Geschichte in graphischer Gestalt. Beobachtungen zu einer spätmittelalterlichen Darstellungsweise, in: Geschichtsschreibung und Geschichtsbewusstsein im späten Mittelalter, éd. Hans Patze, Sigmaringen 1987 (Vorträge und Forschungen, 31), 57-154; Christiane Klapisch-Zuber: L'ombre des ancêtres. Essai sur l'imaginaire médiéval de la parenté, Paris 2000.
[2] De Jeffrey Hamburger voir récemment Diagramming Devotion: Berthold of Nuremberg's Transformation of Hrabanus Maurus's Poems in Praise of the Cross, Chicago 2020. Jean-Claude Schmitt: Penser par figures, du compas divin aux diagrammes magiques, Paris 2019; Steffen Bogen et Felix Thürlemann: Jenseits der Opposition von Text und Bild. Überlegungen zu einer Theorie des Diagramms und des Diagrammatischen, in: Die Bilderwelt der Diagramme Joachims von Fiore, éd. Alexander Patschovsky, Ostfildern 2003; Kathrin Müller: Visuelle Weltaneignung. Astronomische und kosmologische Diagramme in Handschriften des Mittelalters, Göttingen 2008 (Historische Semantik, 11).
Thomas Le Gouge