Fernand Peloux: Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (XIIIe-XVIe siècle) (= Hagiologia. Études sur la sainteté et l'hagiographie - Studies on Sanctity and Hagiography; Vol. 17), Turnhout: Brepols 2021, 521 S., 34 Farbabb., ISBN 978-2-503-59585-6, EUR 95,00
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Ce volumineux recueil de 521 pages rassemble grâce aux soins du médiéviste Fernand Peloux, chargé de recherche au CNRS, les résultats exposés lors d'un colloque qui s'est tenu successivement à Lille, à Namur et à Louvain-la-Neuve en 2018 et 2019. Il réunit dix-huit études de taille inégale consacrées aux traces manuscrites d'une culture hagiographique saisie dans le temps long d'un Moyen Âge allant du XIIIe au XVIe siècle, dans un arc balayant la Bretagne à Trêves en passant par la Belgique et les PaysBas actuels. Il vient ainsi combler un vide historiographique - notamment en raison de l'attention toute particulière accordée à l'hagiographie vernaculaire comme le signale André Vauchez en conclusion (443-446) -, mais il propose également de sonder plus avant les évolutions du christianisme au nord de l'Occident chrétien médiéval.
Il ne s'agit donc pas avec cet ouvrage de scruter les rapports entretenus par des figures saintes avec des livres, comme pourrait éventuellement le laisser penser le titre de prime abord, ou bien de dégager les modalités de définition de la sainteté à travers l'hagiographie dans un espace et un temps donnés, mais plutôt de s'interroger sur l'écriture de la sainteté médiévale par un examen codicologique minutieux et de mettre au jour les usages des manuscrits hagiographiques et leur circulation dans une période marquée à la fois par le succès sans précédent de la Légende dorée et les débuts de l'imprimerie, mais aussi par la multiplication voire la superposition de nouvelles formes de spiritualité chrétienne, telles que la devotio moderna.
Bien que le propos soit organisé en trois thématiques distinctes et équilibrées - "L'hagiographie vernaculaire de la France du Nord. Usages et réceptions des manuscrits" (41-154) comprenant six contributions, "Un terrain propice. Manuscrits et spiritualité dans l'espace belge et les anciens Pays-Bas" (155-294) constituée de cinq chapitres et enfin "De Brest à Trêves, approche typologique de la diversité des manuscrits hagiographiques" (295-441) avec six contributions - la densité et la richesse de chacune des études peuvent parfois faire perdre de vue le fil rouge de d'ensemble. Conséquemment, rendre compte de chaque chapitre constitue une gageure et nous centrerons plutôt ce compte-rendu sur les points conclusifs généraux qui émergent de la lecture du recueil.
Ainsi, il ressort que la production hagiographique manuscrite entre le XIIIe et le XVIe siècle a été élaborée à partir de plusieurs dispositifs qui pouvaient se chevaucher le cas échéant. Principalement, les auteures observent un délicat mécanisme de transpositions et de réécritures des textes hagiographiques, brassant anciens et nouveaux modèles, accompagné d'une part d'une fluctuation des usages de ces textes (C. Vincent 43-63, A. Pinche 66-77, E. Dehoux, M. Gil et M. Vivas 95-118, F. Coste 119-133, W. Verbeke 157-183, B. Fleith 185-209, X. Hermand 259-294, M. Lemeillat 297309, S. Olivier 349380, S. Pretto 397-408, B. Dubuisson 409-441) et, d'autre part, en matière d'écriture et de réception de textes hagiographiques, d'une perméabilité manifeste entre monde des laïcs et des clercs, des lettrés et des illettrés (par exemple C. Vincent, F. Coste, M. Wilmart 381395). Pour cette raison, les acteurs de ces processus sont soigneusement examinés, du commanditaire au destinataire-usager, qu'il soit individuel ou collectif, afin de mettre en exergue leurs multiples intrications, prévenant in fine l'enfermement d'un acteur dans un rôle unique (C. Vincent, A. Pinche 6577, M.-G. Grossel 135-154, B. Fleith, C. Maillet 211-226, X. Hermand, F. Peloux et L. Vangone 311347, S. Olivier, M. Wilmart, B. Dubuisson).
Mais sans aucun doute l'idée la plus intéressante du volume, bien qu'elle ne soit pas tout à fait nouvelle, est de clairement situer l'hagiographie dans le champ politique, en particulier dans la construction d'une identité religieuse spécifique ancrée géographiquement, l'écrit hagiographique étant alors un outil pensé comme pleinement performatif (A.F. Leurquin-Labie 79-83, E. Dehoux, M. Gil et M. Vivas, F. Coste, M.G. Grossel, W. Verbeke, V. Hazebrouck-Souche 227-257, M. Lemeillat 297309, S. Olivier, M. Wilmart).
Assurément ces apports permettent de mieux appréhender les enjeux de l'hagiographie médiévale - a minima en langue vernaculaire - et peuvent être prolongés par plusieurs remarques d'ordre méthodologique, indispensables à la production d'une hagiologie efficace. D'une part, on ne saurait explorer les modulations d'écriture, les permanences et les mutations autour des jeux d'acteurs liés à l'écrit hagiographique sans positionner la réflexion sur une longue durée. Si l'analyse synchronique est effectivement fructueuse, l'analyse diachronique constitue un angle d'attaque éminemment fécond dès lors qu'elle permettrait de saisir plus finement les transformations du christianisme médiéval au gré d'étapes chronologiques complexes et de variations géographiques - démarche méthodologique que Fernand Peloux appelle précisément de ses vœux en introduction (6-40).
D'autre part, et c'est un enjeu essentiel, il est nécessaire d'opérer un changement de regard sur l'hagiographie en ne cantonnant plus celle-ci au seul champ religieux, mais bien plutôt en lui reconnaissant un rôle central dans la politique des sociétés médiévales - en considérant la politique dans son acceptation la plus large, d'interrelations entre les individus et les communautés - et par conséquent en lui donnant une place décisive dans une enquête historienne globale des sociétés médiévales.
Ces quelques éléments n'épuisent pas le foisonnement d'idées de chacun des chapitres et cet ouvrage s'adresse indubitablement à un lectorat averti. Néanmoins, celui-ci aurait pu peut-être être davantage aidé dans sa lecture de certaines études traitant de la généalogie de textes hagiographiques en lui proposant par exemple des graphes de stemmatologie automatisée ou bien en fournissant plus systématiquement des tableaux mettant en évidence les points communs et les différences entre les différentes versions d'un texte ou d'un manuscrit. À titre de compensation, on trouvera en fin de volume de magnifiques reproductions en couleurs dans une rare qualité d'impression de miniatures, de lettrines et d'un sceau, ainsi qu'une impressionnante bibliographie (447-494), mais aussi pour certaines contributions la publication de sources en annexe.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle