Rezension über:

Balbina Bäbler / Heinz-Günther Nesselrath (Hgg.): Delphi. Apollons Orakel in der Welt der Antike (= Civitatum Orbis MEditerranei Studia; 6), Tübingen: Mohr Siebeck 2021, VII + 611 S., 23 Farbabb., ISBN 978-3-16-157570-9, EUR 154,00
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Rezension von:
Anne Jacquemin
Université de Strasbourg
Redaktionelle Betreuung:
Matthias Haake
Empfohlene Zitierweise:
Anne Jacquemin: Rezension von: Balbina Bäbler / Heinz-Günther Nesselrath (Hgg.): Delphi. Apollons Orakel in der Welt der Antike, Tübingen: Mohr Siebeck 2021, in: sehepunkte 22 (2022), Nr. 10 [15.10.2022], URL: https://www.sehepunkte.de
/2022/10/36460.html


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Balbina Bäbler / Heinz-Günther Nesselrath (Hgg.): Delphi

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La rencontre de Göttingen en juin 2017 fit le point sur l'oracle de Delphes dans le monde antique, à un moment où retrouvaient vigueur les débats qui opposaient Plutarque et ses interlocuteurs sur la nature de l'inspiration de la Pythie et sur le déclin du sanctuaire. L'ensemble est divisé en six sections inégales : Delphes dans l'archéologie; l'oracle et son fonctionnement ; Delphes et l'histoire (grecque) ; Delphes dans la littérature archaïque et classique ; Delphes dans la philosophie et la théologie d'époque impériale romaine ; l'image de Delphes dans les époques récentes.

Alors que la plupart des recueils d'articles sur Delphes font le bilan des recherches archéologiques - le colloque organisé par J.-M. Luce, Delphes et la littérature d'Homère à nos jours (Classiques Garnier, Paris, 2018) est une des rares exceptions -, ce thème occupe ici une place limitée avec trois études : celle de M. Maaß, spécialiste reconnu du site pour son exposition de Karlsruhe en 1992 et sa synthèse de 1993, donne un résumé à jour ce qu'on peut savoir sur le site à partir des données matérielles ; celle de V. Brinkmann et U. Koch-Brinkmann montre le rôle central du lieu en interprétant les frontons du Parthénon à partir des principes narratifs utilisés au trésor des Siphniens - il y a là matière à réflexion et discussion pour les historiens de l'art ; celle de V. Déroche aborde une période peu traitée de Delphes qu'il connaît bien : il montre les difficultés à tracer une limite chronologique claire entre la Delphes encore païenne et la Delphes chrétienne.

La section consacrée à l'oracle s'ouvre sur une présentation plus large de l'expérience religieuse delphique due à H. Bowden à travers la fréquentation des dieux dans un mouvement unissant initiative divine (theophaneia) et démarche humaine (theoria) dans le sacrifice (thusia), ce qui l'amène à discuter des animaux auxiliaires du dieu que sont essentiellement les oiseaux et à affirmer le lien entre l'oracle et la cité qui en a gardé le contrôle. T. S. Sheer s'interroge sur l'image de la Pythie transmise par la littérature (essentiellement Plutarque, d'autres sources plus anciennes vont à l'encontre de ces données) comme une femme vierge, inculte et vivant isolée, ce qui en ferait la porte-parole adéquate d'Apollon. Partant de l'idée que les Pythies étaient authentiquement douées de pouvoirs de médium, Y. Ustinova traite une question rarement, sinon jamais posée, celle de leur recrutement et propose une sélection au sein des Thyiades qui manifestaient une réceptivité au divin dionysiaque lors de leurs courses dans le Parnasse. Cependant aucune source ancienne ne vient appuyer cette hypothèse ; la mania de la Pythie et celle des Thyiades sont de natures différentes : si les dernières étaient hors d'elles durant le temps de leur oreibasia, la première semble ne l'avoir été que dans des circonstances particulières où le consultant voulait un oracle hors des moments fixés par le dieu.

La partie consacrée à Delphes dans l'histoire part du mythe (dispute du trépied) pour s'achever sur les conflits autour du sanctuaire et la recherche des faits historiques derrière le récit. B. Wagner-Hasel reprend un thème abordé dans son étude sur le don et l'échange en Grèce ancienne, celui du trépied delphique disputé par Héraclès à Apollon en l'insérant dans le cadre des relations suprarégionales et de la naissance du panhellénisme ; elle montre la réactualisation permanente du mythe en fonction de l'histoire. En s'intéressant à la "boulangère en or", B. Bäbler revient sur les offrandes du roi Crésus, mais aussi celles d'autres souverains barbares et confronte les données archéologiques aux textes, essentiellement ceux d'Hérodote et conclut à une utilisation des anecdotes liées à ces offrandes par les prêtres d'Apollon à des fins de propagande. R. Osborne revient sur le rapport entre Delphes et la "colonisation" dans un article mesuré qui redimensionne les liens entre Delphes et les chefs d'expédition, loin des errements de certains qui faisaient de Delphes un office d'organisation des migrations grecques en Méditerranée et en Mer Noire. K. Trampedach qui a une bonne familiarité avec l'oracle s'interroge les fondements de sa légitimité aux yeux des Grecs : après avoir étudié les acteurs, les sujets sur lesquels portaient les questions, les procédures orales et écrites, il conclut à l'impossibilité d'une politique delphique qui aurait permis à la cité d'avoir l'hégémonie sur le monde grec, malgré sa faiblesse démographique et donc militaire.

La contribution de W. Schmitz est singulière, puisqu'elle part de l'écrivain Stefan Andres qui trouva au printemps 1934 à Delphes un refuge (kataphygion), ce qui lui inspira un roman Der Mann von Asteri. La culture de l'agon et de l'affichage de la victoire que proclament les offrandes du sanctuaire n'est pas "la langue du temenos" qu'a entendue St. Anders, mais cette illusion, partagée par le poète grec A. Sikelianos, avait été à l'origine des Fêtes delphiques. La contribution de P. Sánchez définit de façon claire "guerre sacrée" et "guerre amphictionique", en distinguant bien les conflits régionaux dont l'objet est le sanctuaire de Delphes et les luttes pour l'hégémonie en Grèce centrale. Il analyse avec minutie les sources antiques et étudie les divers conflits qui se sont succédé du début du VIe siècle au 3e quart du IVe siècle, ce qui lui permet de caractériser les conflits relatifs au sanctuaire delphique.

La quatrième section s'intéresse à Delphes dans la littérature archaïque et classique avec une analyse de la structure ternaire de l'Hymne homérique à Apollon par L. von Alvensleben qui met en lumière de nouveaux rapports entre les différents éléments de ce poème juxtaposant deux éloges de sanctuaires apolliniens, celui de Délos et celui de Delphes. Le travail de C. Lattmann sur les concours pythiques chez Pindare en dégage les contextes historiques et la signification culturelle : des mythes présents dans les odes naît une conception pessimiste de la condition humaine éclairée cependant par l'existence de l'effort héroïque tendant à dépasser le sort ordinaire. H.-G. Nesselrath étudie l'oracle dans la tragédie attique à travers deux thèmes que les trois grands tragiques athéniens ont traité dans des pièces conservées, celui du matricide d'Oreste comme exigence delphique et celui du destin des Labdacides, avant d'aborder la pièce proprement delphique qu'est l'Ion d'Euripide. L'Andromaque et l'Iphigénie en Tauride de ce poète sont brièvement mentionnées, puisque l'ambiguïté du message divin n'y tient pas de place. H.-G. Nesselrath étudie ensuite l'oracle de Delphes chez Hérodote en s'intéressant particulièrement à l'épisode du test de fiabilité mené par Crésus et aux oracles rendus à la veille de la seconde Guerre médique et conclut que l'historien a fait beaucoup pour la reconnaissance de la centralité du sanctuaire delphique dans le monde grec. L'exposé de W. Gauer est une analyse minutieuse des oracles rendus aux Athéniens en 480 qu'il étudie dans la perspective du sacrilège envers Zeus Xénios commis par les Athéniens (mais aussi les Lacédémoniens) en mettant à mort les envoyés perses.

La cinquième partie est consacrée à Delphes dans la philosophie et la théologie à l'époque impériale avec des thèmes qui suscitent un renouveau d'intérêt, comme les confrontations entre cultes traditionnels et nouvelles réponses aux interrogations humaines. R. Hirsch-Luipold étudie Plutarque, prêtre d'Apollon à Delphes, philosophe et propagandiste du sanctuaire et de sa sagesse, souvent pris pour témoin du déclin de l'oracle de Delphes, à cause de ses remarques sur la mesquinerie des questions posées de son temps : la découverte des tablettes de Dodone a montré qu'il en était de même à l'époque classique. J. Hammerstaedt s'intéresse à la place de Delphes dans les débats philosophiques à l'époque impériale et aux interrogations relatives à la mantique. I. Tanaseanu-Döbler étudie Delphes dans les écrits néoplatoniciens, ceux de Porphyre et de Jamblique pour le rapport entre mantique et philosophie, mais aussi ceux de Julien et de Proclos. U. Volp présente la critique des oracles chez les Pères de l'Église en étudiant la triple concurrence entre Delphes (encore plein de vie et de ressources, contrairement à K.M. Lattermann, The Decadence of Delphi, Routledge, Oxford-New York, 2018) et le christianisme, dans le domaine de la transcendance, du rite et de l'intellect. Il convient de rappeler qu'aucun martyr n'est connu à Delphes.

La dernière section concerne Delphes dans les temps modernes. La contribution de D. Engster est une étude critique, très documentée de travaux récents de géologues et de toxicologues qui ont expliqué l'état dans lequel se trouvait la pythie par l'inhalation de gaz qui par une faille (le chasma ges des Anciens) se répandait dans l'adyton et invite le lecteur à se montrer suspicieux face à une pythie sous psychotropes. Le dernier article de M. Lindner, plus léger, porte sur les jeux qui ont utilisé le thème de l'oracle de Delphes.

Ce livre est un bel objet, bien présenté, avec une illustration de qualité. Les fautes sont rares et se rencontrent dans des domaines (archéologie) qui ne sont pas ceux des auteurs. Il témoigne de la variété des façons d'approcher la réalité delphique, même s'il s'agit pour l'essentiel d'une Delphes sans monuments, où la nature même est peu présente, alors que les visiteurs viennent à Delphes pour ses ruines et pour son paysage. Serait-ce alors un antidote aux nombreux guides et ouvrages archéologiques ? Mais c'est aussi une Delphes sans Delphiens (sauf la Pythie), un (presque) pur objet mental, ce qui correspond bien aux recherches des philosophes de la fin de l'Antiquité.

Anne Jacquemin