Michel Pastoureau: Les Couleurs au Moyen Âge. Dictionnaire encyclopédique, Paris: Le Léopard d'or 2022, 360 S., 32 Farb-Abb., ISBN 978-2-86377-283-6, EUR 60,00
Inhaltsverzeichnis dieses Buches
Buch im KVK suchen
Bitte geben Sie beim Zitieren dieser Rezension die exakte URL und das Datum Ihres Besuchs dieser Online-Adresse an.
Michel Pastoureau, historien médiéviste de la symbolique et des couleurs, occupa durant 35 ans une chaire à l'École Pratique des Hautes Études et aborda, dans son enseignement comme dans ses publications, des domaines variés allant de l'héraldique à la sigillographie, de l'histoire des couleurs à celle des animaux. Ses œuvres principales, des monographies portant sur la couleur au Moyen Âge, ont été couronnées d'une notoriété certaine, au-delà de la sphère académique. Cet ouvrage peut être vu comme une synthèse condensée de ses travaux antérieurs et des savoirs acquis, sous l'angle de l'analyse de la couleur.
Une introduction, en forme de prologue, permet à l'auteur d'expliquer sa démarche. Il revient tout d'abord sur ce demi-siècle d'intérêt pour la couleur, et notamment, celui qu'il montra lorsque tout jeune chercheur, il voulut mettre en avant une quête alors jugée totalement inopportune par les historiens. Bien que les choses aient considérablement évolué depuis lors, Pastoureau regrette que l'actualité historiographique souffre encore de certaines lacunes, voire d'un refus de la couleur comme gênant le regard du scientifique. Il présente ensuite plusieurs obstacles que celui-ci doit affronter. Celles-ci sont d'abord matérielles et documentaires : la transformation des teintes par les siècles et l'usure, les changements de matériaux et d'éclairage, l'usage du noir et blanc dans les estampes et les gravures depuis le XVIe siècle, mais également les difficultés d'accès aux œuvres originales, sont autant de freins à une étude plus approfondie.
D'autres entraves concerneraient les complexités lexicales : en premier lieu parce que les incompréhensions viennent souvent d'une différence de perception des mots entre spécialistes, mais également parce que, du Moyen Âge jusqu'à nous, le langage a considérablement évolué, jusqu'à brouiller les pistes. Les faux amis, les écarts de langage, les traductions rendent opaque la perception précise des usages médiévaux de la couleur. Le danger d'anachronisme est enfin le troisième grand écueil, commun à tous les travaux d'histoire, mais particulièrement approprié en ce qui concerne ce sujet. Les animaux et les végétaux, par exemple, ressemblaient alors peu à ce que nous pouvons voir aujourd'hui. Pastoureau ajoute pour finir que le spectre colorimétrique, hérité d'Aristote, ne connaissait pas les nuances et la classification contemporaine.
Par le point d'entrée de la couleur, Pastoureau utilise ici des domaines qu'il a longtemps étudiés, qu'ils soient issus de l'héraldique ou des bestiaires, ce qui lui permet d'offrir aux générations futures un outil de travail pertinent. Il est vrai que si les nuances de base (blanc, jaune, vert...), comme celles de l'héraldique (argent, azur, pourpre...) forment des notices majeures, les entrées intègrent des domaines variés, qu'ils soient littéraires (Pline l'Ancien) ; animaliers (corbeau, cygne, écureuil...) ; matériels (pastel, noix de galle...) ; sociaux et politiques (Guelfes, racisme, prostitution...) ; religieux (Bible, péché, Vierge...) ; et même émotionnel (la beauté des couleurs).
Ce dictionnaire de 360 pages est constitué de 221 notices. Chacune d'elles présente une description lexicale, historique et matérielle de la notion qui en est au centre, ainsi que quelques pistes bibliographiques. Ainsi, lorsqu'il aborde le "Fauve" (102), Pastoureau explique l'origine germanique de ce mot, sa latinisation au cours du Moyen Âge, son passage dans le lexique de la vénerie pour regrouper les cerfs, daims et chevreuils. Sa mutation vers les animaux sauvages et dangereux, les "fauves", ne se fait pas avant le XVIIe siècle. L'auteur montre également qu'au-delà du vocabulaire bestial, le fauve désigne aussi une couleur, au champ chromatique large, allant du jaune foncé au brun grisâtre. Au-delà de son aspect matériel, Pastoureau propose une analyse symbolique du mot, observant que son association au renard, Goupil, ou à l'âne Fauvel, le lie alors à ce qui est hypocrite, perfide, corrompu. Cela donne à la notion une dimension négative, qui perdure jusqu'au XVIe siècle, période à laquelle il revient à la mode chez les "jeunes élégants".
Michel Pastoureau offre ici un "dictionnaire encyclopédique", c'est-à-dire proposant, outre des définitions de termes, des développements plus larges sur l'environnement matériel, sémantique, social, culturel, symbolique, théologique, politique des notions choisies. L'organisation est efficace et les descriptions précises. Quelques points et orientations éditoriales pourraient toutefois être discutées. L'aspect synthétique de l'ouvrage, sorte de compendium, provoque certaines transitions abruptes - comme un passage sur le tournoi et l'héraldique, au sein de la notice des ordres militaires, sans que le lien ne soit fait avec la question de la couleur (193).
Le discours regrettant le désintérêt persistant pour la couleur pourrait être nuancé par l'observation d'un mouvement récent, qui montre que depuis 2015, beaucoup de disciplines s'emparent avec enthousiasme de la couleur pour dynamiser des travaux de recherche plus globaux - les journées d'étude du projet ArtTerm autour du lexique de la couleur, les programmes de la BnF et de l'INHA autour de la couleur et des matériaux de la peinture et de l'enluminure, le programme Colorants à l'INHA, le projet Chromotope mené par Charlotte Ribeyrol à Sorbonne-Université en sont quelques exemples. Tous ces projets ne traitent pas spécifiquement de la couleur au Moyen Âge, mais ils montrent bien un intérêt accru pour la couleur. Pour contourner le problème de l'évolution des matériaux, de nombreux programmes, en particulier dans le champ de la Technical Art History, s'attachent aux techniques des artefacts, avec une pratique particulière de la reconstitution historique, qui produit des résultats encourageants.
Par ailleurs, bien que le spectre de la couleur soit hérité d'Aristote, la perception et la compréhension de la couleur n'en sont pas moins fines pour les sociétés médiévales, comme en témoigne le vocabulaire employé par les teinturiers et dont les termes sont incompréhensibles et intraduisibles aujourd'hui.
L'usage - récurrent chez Pastoureau - d'une lecture symbolique pour appréhender la perception de la couleur au Moyen Âge, par son aspect globalisant, pourrait certainement être discuté et nuancé par un travail plus approfondi sur les représentations médiévales, en dialogue avec l'anthropologie ou la sociologie. On notera que la bibliographie ne fait pas la part belle aux recherches récentes : très peu de titres scientifiques datent d'après 2010, hormis ceux venant de Pastoureau lui-même. Quelques exemples parmi d'autres : les notices "Teinture" et "Teinturerie" contiennent toutes deux exactement la même bibliographie, dont les références datent de 1944 à 1998. Cette lecture pourrait être nourrie de quelques travaux plus récents, comme le travail doctoral de Matthieu Harsch portant sur La teinture et les matières tinctoriales à la fin du Moyen Âge : Florence, Toscane, Méditerranée, soutenue en 2020. La notice Cochenille ne mentionne pas le livre homonyme de Georges Roques, publié en 2021 et salué par la critique. Malgré ces quelques réserves, l'ouvrage est plaisant à lire, et les 32 planches couleur à la fin du livre, choisies avec soin, sont aussi belles qu'utiles. Il sera bénéfique à l'historien cherchant des indications spécialisées sur l'environnement épistémologique de la couleur au Moyen Âge.
Cécile Barluet