Jean-Pierre Bordier / Stéphanie Le Briz-Orgeur / Xavier Leroux u.a.: Les Mystères du manuscrit 1131 de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris. Volume I et Volume II (= Textes littéraires du Moyen Âge; 69), Paris: Classiques Garnier 2023, 1870 S., ISBN 978-2-406-13147-2, EUR 120,00
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Deux volumes de la collection "Textes littéraires du Moyen Âge" de Classiques Garnier, présentent l'édition critique et les traductions en français moderne des pièces dramatiques contenues dans le manuscrit 1131 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris. Ce manuscrit daté du début du XVè siècle englobe des pièces de théâtre qui furent rassemblées auprès de l'abbaye Sainte-Geneviève. Il présente des histoires à propos du Christ, des Apôtres et de saints liés à l'entourage parisien, comme sainte Geneviève et saint Denis. Jean-Pierre Bordier et Gabriella Parussa sont les directeurs de l'ouvrage, auquel ont collaboré d'autres spécialistes.
Le texte introductoire du premier volume (9-47) présente en primer lieu le contenu du manuscrit, pour ensuite signaler les relations entre les différentes pièces. Ainsi, quatre drames évoquent la vie du Christ : la Nativité, les Trois Rois, la Résurrection et la Passion. Les autres sont consacrés à des saints : la Vie de saint Fiacre, le Martyre de saint Étienne, la Conversion de saint Paul, la Conversion de saint Denis, le Martyre de saint Pierre et saint Paul, le Jeu de saint Denis et les Miracles de sainte Geneviève. Ces textes hagiographiques forment un ensemble, tandis que la Nativité, les Trois Rois, la Résurrection et la Passion étaient des textes d'origine diverse ; rassemblés dans le manuscrit 1131 ils contiennent des prologues qui ont été construits sur un même modèle, et certaines réssources témoignent d'un effort d'uniformisation entre les quatre pièces.
Le manuscrit détient aussi quelques indications, très disperses, à propos de la mise en scène : des lieux et leur rapports avec les personnages, des éléments, décorations, ameublements et costumes. L'écriture théâtrale fait une large part aux contrastes : changements du rythme de l'action, opposition des dialogues avec des tirades d'un seul personnage, changement du parlé et du chanté et contraste du sérieux et du comique. L'ensemble de ces pièces s'inscrive dans la tradition et les usages du théâtre médiéval. La matière biblique et hagiographique rappelle les principaux aspects du dogme de la Rédemption, sans inculquer un enseignement moral précis.
L'analyse se poursuit avec la description et examen du manuscrit (49-63), qui tient compte de ses particularités codicologiques et de la répartition des textes qui composent l'ensemble, ainsi que de l'histoire du manuscrit avant et après son appartenance à la bibliothèque de Sainte-Geneviève. L'étude linguistique a permis de detecter certains traits dialectaux, ce qui parfois permet formuler des hypothèses quant à l'origine géographique des auteurs et du scribe, bien qu'avec la plus grande prudence. Après sont présentés les principes généraux de la transcription de cette édition (65-68). Les pages suivantes du premier et du deuxième volume sont consacrées aux études introductoires des pièces, son édition critique et les traductions en français moderne.
Stéphanie Le Briz-Orgeur et Géraldine Veysseyre (71-97) précisent comment la Nativité, le Geu des Trois Rois et la Résurrection forment un premier triptique en rapport au sujet de la chute et du rachat de l'homme, tout en étant également un ensemble homogène d'écriture dans le manuscrit. La pièce de la Nativité est l'objet de l'étude et de l'édition de Stéphanie Le Briz-Orgeur (101-305). L'histoire de la Création et de la chute de l'homme fait part des épisodes qui précèdent le mariage de Marie et Joseph, puis suivent les épisodes de l'Annonciation, la Nativité et l'Adoration des bergers. Géraldine Veysseyre étudie et nous offre l'édition du Geu des Rois (309-509). Le texte met en scène des épisodes de l'enfance du Christ : l'Adoration des Mages, la fuite en Égypte et le massacre des Innocents. Il s'agit d'un argument cohérent a partir de sources textuelles repandues (les Évangiles, la Légende Dorée et l'Elucidarium), au service d'un message qui souligne la perdition des hommes indifférents à la voix de Dieu, et qui suggère qu'ils bénéficieront de la protection divine s'ils montrent leur vénération pour le Christ. Le Mystère de la Résurrection, qui nous est seulement parvenu dans ce manuscrit, est étudié et transcrit par Xavier Leroux (513-667) ; la création puis la chute d'Adam et Êve sont reprises pour conduire à l'annonce de la Résurrection du Christ.
Gabriella Parussa (671-781) analyse et transcrit la pièce de la Vie de saint Fiacre. Le texte présente une biographie dramatisée de ce saint ermite thaumaturge. Dans le contexte de ses miracles sont abordés des problèmes comme les rapports entre l'homme et la divinité.
Le deuxième volume commence avec l'étude et transcription de la Passion Nostre Seigneur, effectuée par Jean-Pierre Bordier (785-1157). Ce spécialiste signale et précise la parenté du texte de la Passion Nostre Seigneur et celui du Jour du Jugement qui appartient à un autre manuscrit, ce qui lui permet de reculer la datation de la Passion Nostre Seigneur à la période 1325-1350. La pièce contient des épisodes bien connus de la Passion et de la Résurrection, à partir des Évangiles canoniques et d'autres commentaires autorisés, et on peut la rallier à la tradition théâtrale.
Gabriella Parussa (1161-1363) analyse et transcrit l'ensemble de quatre pièces distinctes, le Martyre de saint Estienne, la Conversion saint Paul, la Conversion saint Denis, et le Martyre saint Pierre et saint Pol, un ensemble qui a été denommé le Cycle des Mystères des premiers martyrs. Ce cycle est étroitement lié au Geu saint Denis et aux Miracles de sainte Geneviève, qui suivent immédiatement dans le manuscrit de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, quoique les auteurs des cycles ont travaillé séparément. Le cycle consacré aux premiers martyrs présente des histoires contenues dans de nombreux légendiers en prose qui se trouvaient dans les bibliothèques monastiques et abbatiales, mais ils font une large place à la violence verbale et physique qui n'apparaissent pas dans les sources biographiques, et qui puisent dans la tradition de nombreux textes dramatiques aux XIVè et XVè siècles.
Comme expose Gabriella Parussa (1367-1523), le Geu saint Denis se présente comme la suite du martyre des apôtres Pierre et Paul à Rome, puisque ce drame raconte le voyage de saint Denis à Rome pour les rejoindre ; par la suite il est envoyé comme missionaire à Paris, où il souffre le martyre et la mort. Ainsi, le Geu aborde seulement la fin de la vie du saint, et c'est un autre drame du même manuscrit 1131 qui raconte la conversion de saint Denis. L'action du Geu est étroitement ralliée à Paris et à ses environs, et l'abbaye Sainte-Geneviève de Paris pourrait être identifiée comme commanditaire. La source de ce drame dérive des légendiers des XIVè et XVè siècles, mais présente une adaptation assez libre de la vie du saint dans ses nombreux dialogues et monologues.
La pièce des Miracles de sainte Geneviève est égalément étudié, transcrit et traduit par Gabriella Parussa (1527-1811). Ce drame met en scène la vie et les nombreux miracles de la sainte, connue dans différentes versions de sa Vita. L'auteur retient seulement quelques uns de ses miracles, les épisodes qui lui permettent de réécrire l'histoire exemplaire de sa vie. Les dialogues sont d'une grande vivacité si on les compare aux sources latines, très laconiques, et le mélange du sérieux et du comique est habituel.
Une riche bibliographie, un index des mots commentés, un deuxième des noms de rôles, puis un index des noms de personnes et lieux cités et des titres et incipit d'hymnes et de prières sont présentés à la fin du deuxième volume (1813-1865). L'ensemble des études, l'édition critique et les traductions en français moderne du manuscrit 1131 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris, est le résultat d'une recherche linguistique impeccable, mais elle devrait aussi attirer l'attention des médiévistes historiens et historiens de l'art, car il favorise la présentation d'autres hypotheses en rapport à la religiosité et les representations artistiques du nord de la France au début du XVè siècle.
Isabel Escandell Proust