Rezension über:

Benjamin Anderson / Mirela Ivanova (eds.): Is Byzantine Studies a Colonialist Discipline? Toward a Critical Historiography, University Park, PA: The Pennsylvania State University Press 2023, xvi + 200 S., ISBN 978-0-271-09526-4, USD 24,95
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Rezension von:
Adrien Palladino
Masaryk-Universität, Brno
Redaktionelle Betreuung:
Philippe Cordez
Empfohlene Zitierweise:
Adrien Palladino: Rezension von: Benjamin Anderson / Mirela Ivanova (eds.): Is Byzantine Studies a Colonialist Discipline? Toward a Critical Historiography, University Park, PA: The Pennsylvania State University Press 2023, in: sehepunkte 24 (2024), Nr. 3 [15.03.2024], URL: https://www.sehepunkte.de
/2024/03/38593.html


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Benjamin Anderson / Mirela Ivanova (eds.): Is Byzantine Studies a Colonialist Discipline?

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Les "études byzantines", à leur rythme, sont en train de réviser les grands récits historiographiques qui les régissent. Ce livre s'inscrit dans le mouvement en adoptant un point de vue résolument ancré dans les débats qui ont émergé surtout au sein des universités américaines. Ces nouvelles approches, propres aux études médiévales "globales", se veulent davantage que de simples exercices de diversité et proposent de contrer les dynamiques d'eurocentrisme en introduisant de nouveaux centres et des temporalités alternatives. Ce livre affirme que les byzantinistes ont beaucoup à contribuer à ce projet.

Dirigé par Benjamin Anderson et Mirela Ivanova, il s'agit du second volume de la série Viewpoints en collaboration entre l'International Center of Medieval Art (ICMA) et les presses de l'Université de Pennsylvanie. La série a pour but de promouvoir de nouveaux débats autour de hot topics de l'histoire de l'art médiéval. La préface des éditeurs scientifiques place l'ouvrage dans la conjoncture de deux sujets d'actualité qui ont marqué 2020 : d'une part, le meurtre de George Floyd par un policier en mai 2020, qui focalisa l'attention des États-Unis et du monde entier sur l'inégalité et l'injustice inhérentes au système racial. Le mouvement social et le débat qui suivirent, associés à la phrase "Black Lives Matter", ont eu un fort retentissement notamment au sein des universités américaines, qui se trouvaient nouvellement confrontées à leur héritage de violence coloniale et de racisme systémique. Le second évènement est la transformation, symbolique pour le régime du président turc Recep Tayyip Erdoğan, de l'église Sainte-Sophie (musée depuis 1934) en mosquée en juillet 2020. La décision avait fait réagir de nombreux byzantinistes, poussant l'Association des Études Byzantines à reporter le congrès prévu en 2021 à Istanbul et à le déplacer vers Venise et Padoue en 2022. Les byzantinistes redécouvraient ainsi, semble-t-il, le poids de la politique et son rôle au sein d'une discipline qui en paraissait déconnectée.

Les deux évènements, d'après les éditeurs du volume, appelaient à repenser l'héritage du colonialisme sur les disciplines universitaires et en l'occurrence à questionner la place des études byzantines au sein des dynamiques socio-politiques qui animent le monde contemporain. Résultant d'un webinar tenu en 2020 et d'une table-ronde au congrès de Venise en 2022, l'ouvrage pose, à travers une introduction et quatorze riches contributions (17 auteurs), deux questions distinctes. La première, qui donne son titre au livre, sonde la part de la construction coloniale au sein des études byzantines. La seconde peut se résumer ainsi : comment écrire une historiographie plus critique des études byzantines qui ne perpétue pas les canons néfastes de la discipline ?

Une prémisse est fondamentale. L'entité géopolitique qu'est "Byzance", n'a pas - comme c'est le cas par exemple pour la "France" médiévale - d'héritier moderne direct. L'héritage de Byzance a donc été dès sa chute l'enjeu de récupérations politiques et idéologiques plurielles. Celle des Ottomans, la plus directe, s'inscrit dans une recherche de légitimité et le refus de cette dernière par l'Europe. Différente est la récupération dans d'autres pays des Balkans et surtout par la Russie, qui se pose dès le XVIe siècle comme "troisième Rome", héritière de Constantinople et de l'orthodoxie. Dès l'introduction, les éditeurs exposent que ce sont donc davantage les notions d'"impérialisme" et de "nationalisme" (j'ajouterais d'"orthodoxie") qui ont été centrales dans la construction des études byzantines. Par ailleurs, Byzance l'orientale devient le miroir d'un Occident qui y projette ses fantasmes et ses haines. Récupéré partiellement pour son prestige mais surtout comme modèle d'altérité, l'empire d'Orient n'occupe donc pas un rôle central dans la formation de l'Europe moderne et dans ses entreprises coloniales. Ce n'est que la seconde moitié du XIXe siècle, entre romantisme, décadence, et impérialisme, qui donnera une place plus importante - mais encore une fois ambiguë - à l'héritage de Byzance.

Cependant, et c'est là l'une des belles propositions de l'introduction du volume, Anderson et Ivanova souhaitent souligner que Byzance et les études byzantines ont été simultanément colonisatrices et colonisées. L'empire byzantin, tout d'abord, peut être considéré "colonial", avec ses dynamiques d'occupation territoriales et de suppression de minorités à travers des institutions religieuses, militaires, et fiscales. Les auteurs introduisent aussi l'idée d'un "soft-power" exercé par Byzance sur la base de son autorité religieuse, une influence qui avait été caractérisée dès 1971 par l'historien russe émigré à Oxford Dimitri Obolensky de "Commonwealth byzantin" - miroir du Commonwealth britannique d'après-guerre. [1] Hier comme aujourd'hui se pose la question de la projection du monde contemporain sur le passé historique. Le présent ouvrage est conscient de ce péril, tout en le frôlant sans cesse.

Les auteurs suggèrent ensuite que les études byzantines elles-mêmes ont pu être à la fois colonisées, en tant que sous-discipline des orientalismes du XVIIe au XIXe siècle, et colonisatrices, à cause de la centralité accordée à la langue grecque et aux élites de Constantinople au détriment des "périphéries" (voir Arietta Papaconstantinou et Nicholas S. Matheou dans ce volume). Elles furent aussi colonisatrices à cause de l'enchevêtrement constant de la discipline avec le colonialisme européen et ses institutions. C'est ce que veulent démontrer Nathanael Aschenbrenner et Jake Ransohoff au sujet de l'un des pionniers des études byzantines au XVIe siècle, Hieronymus Wolf. Ils montrent que les travaux de Wolf ont été financés par la famille de banquiers Fugger, dont les fonds étaient impliqués dans divers projets colonialistes des puissances européennes à cette époque. Les études byzantines, financées par les mêmes fonds que les projets coloniaux, porteraient donc immanquablement la marque du colonialisme. Pour la France, une situation comparable est soulignée pour toutes les activités, financées par le régime de Louis XIV, de la Byzantine du Louvre. [2] Il est évident que des remarques similaires pourraient être faites pour toute entreprise scientifique financée par n'importe quelle puissance coloniale. La deuxième partie de l'introduction, qui se focalise sur les représentations racialisées au sein de la production visuelle byzantine au sens large, développe de même des arguments qui ne sont pas propres aux études byzantines. L'introduction perd ainsi de sa force en se focalisant sur une question attendue et très discutée dans les études médiévales globales.

Les autres articles du volume soulèvent également souvent de vastes questions. Anthony Kaldellis et Averil Cameron soulignent d'une part l'eurocentrisme méthodologique qui a (dé)formé la discipline, d'autre part la résistance à l'introduction de nouvelles méthodologies chez les byzantinistes. Matthew Kinloch signale, statistiques à l'appui, à quel point les études byzantines sont encore un champ sous le contrôle de leaders masculins blancs où l'anglais domine. Là encore, on peut souscrire tout en se demandant si ces statistiques sont propres aux études byzantines. On peut aussi se demander si le présent ouvrage ne contribue pas en partie à perpétuer ce qu'il espère transformer, en ignorant (également dans la bibliographie finale) de nombreux travaux sur l'historiographie de Byzance parus en allemand, français ou italien. De même, la réception russophone, pourtant un sujet central pour la question de Byzance coloniale et colonisée, n'est touchée que très superficiellement dans l'article d'Alexandra Vukovich sur le rapport dominant-dominé entre l'empire byzantin et la Rus' de Kiev.

La partie finale du livre illustre comment l'acquisition et l'exposition d'objets "byzantins" doit aussi être replacée au sein de dynamiques d'eurocentrisme. On notera dans cette section des discussions bienvenues sur les institutions muséales (Arielle Winnik et Elizabeth Dospěl Williams). On note aussi un article d'Andrea Myers Achi, curatrice au Metropolitan Museum de New York qui a récemment conçu l'exposition Africa and Byzantium (19 novembre 2023 - 3 mars 2024), là-encore un appel éminemment politique à décoloniser le musée contemporain et à étendre les frontières des études byzantines. Dans la perspective prochaine de l'ouverture d'un nouveau département des Arts de Byzance et des chrétientés en Orient au muse?e du Louvre, on est en droit, après la lecture de cet ouvrage, de poser la question de la place des études et collections byzantines en France. Discipline stérile pour érudits, ou miroir des enjeux géopolitiques et sociaux contemporains ? À un moment d'incertitude où certaines universités se demandent si les études byzantines sont bien utiles, un nouveau récit pour "Byzance" en France demande encore dans tous les cas à être réinventé et questionné, aussi ouvertement que le font les contributions dans ce petit ouvrage.


Notes:

[1] Dimitri Obolensky: The Byzantine Commonwealth: Eastern Europe, 500-1453, Londres 1971.

[2] Corpus Byzantinæ historiæ, 24 vols., Paris 1644-1711. À ce sujet, voir récemment Teresa Shawcross: Editing, Lexicography, and History under Louis XIV: Charles Du Cange and La Byzantine du Louvre, dans: The Invention of Byzantium in Early Modern Europe, dir. Nathanael Aschenbrenner / Jake Ransohoff, Washington D.C. 2021, 143-180.

Adrien Palladino