Hannah Skoda / Patrick Lantschner / R. L. J. Shaw (eds.): Contact and Exchange in Later Medieval Europe. Essays in Honour of Malcolm Vale, Woodbridge / Rochester, NY: Boydell & Brewer 2012, XXVII + 291 S., ISBN 978-1-84383-738-1, GBP 60,00
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Cette excellente publication est un livre d'hommages à Malcolm Vale (MV), Professeur émérite en histoire moderne à St John's College d'Oxford et à son oeuvre, car on doit parler d'œuvre. Les onze articles denses et critiques sont basés sur les thématiques de recherches, nombreuses et variées, développées par Malcolm Vale tout au long de sa carrière. Ils ont valeur d'essais prolongeant les approches de l'historien tout en en montrant le caractère innovant et visionnaire, notamment sur l'histoire de l'Europe. MV a débuté sa carri ère il y a une cinquantaine d'années comme le rappelle Michael Jones - The Work of Malcolm Vale (xiii-xxv). En hommage personnel à son coll ègue et ami, il loue les qualités intellectuelles et les capacités de travail de MV, dipl ômé de Brentwood et excellemment préparé à la vie académique à Oxford. Pendant quarante ans, MV a ouvert des pistes fondamentales pour les historiens européens. Ses travaux critiques sur l'histoire de l'Aquitaine et de la Guyenne, mais aussi de la Bourgogne et des Pays-Bas, en relation avec les archives et les manuscrits anglais de cour, pendant la Guerre de Cent Ans, lui ont valu plusieurs prix.
Le recueil d'articles est divisé en deux grandes parties : Boundaries and Units, Practices of Exchange. Il vise à analyser les contacts et les échanges dans l'Europe du Moyen Âge tardif, à partir des interactions transfrontalières et des pratiques historiques de leur franchissement ou de leur renégociation. Les articles font ressortir des spécificités à la fin du Moyen Âge, telle la reconnaissance de différents types de frontières et d'unités linguistiques, religieuses, culturelles, commerciales, juridiques, favorables au développement économique. La période correspond à une multiplicité de configurations politiques et de consolidations sociales : les royaumes et empires, les communes, les principautés, les ligues, les guildes, les états, les dynasties, les cours, les partis, les communautés ecclésiastiques ont sans cesse construit, franchi, négocié, de nouvelles frontières. « La fin du Moyen Âge » est envisagée d'un c ôté comme un temps de croissance politique, les fronti ères, les unités et les fidélités, d'un autre c ôté comme un temps d'échanges culturels, techniques, sociaux, urbains, économiques et religieux. Basées sur le mod èle de M. Bloch, les études sont comparatives, avec toutefois des limites, car elles se réalisent aussi à des échelles transnationales dans différentes perspectives internationales et multinationales selon des modalités d'échanges plus ou moins fluides. L'approche générale est focalisée sur l'interrelation entre les régions et les processus de concurrence, de contacts, d'échanges dans et par-del à les fronti ères. Elle prend en compte les immenses défis de la global history> - à ne confondre ni avec une histoire de la globalisation, ni avec l'étude comparative de régions particuli ères à travers le monde. Elle rel ève plut ôt de l'histoire croisée, comme John Watts le rappelle bien dans la conclusion générale.
La premi ère partie présente différentes sortes de fronti ères, leurs échanges et leurs relations avec les unités politiques, sociales et culturelles. La seconde partie porte sur les pratiques de l'échange de part et d'autre des fronti ères. L'ouvrage ne vise toutefois pas à l'exhaustivité des différents types d'échanges et de relations à la fin du Moyen Âge.
« Fronti ères et unités » rappelle que l'époque est caractérisée par un microcosme de cités. L'article de Jean Dumolyn montre bien en effet que les transformations commerciales furent accompagnées de dépassements des fronti ères extérieures. Il a analysé comment les fronti ères sociales se sont construites sur la peur d'un exc ès d'échanges sociaux, renfor çant des topographies dans les cités, principalement entre les patriciens d'un c ôté et les ouvriers et artisans de l'autre. Ces fronti ères intérieures sont délimitées par exemple par des institutions telles les guildes dont le contrôle et l'emprise sociale ont conduit à la marginalisation de certaines catégories poussant jusqu'aux révoltes majeures de 1280 et 1302. Erik Spindler quant à lui décrit un autre type d'échanges frontaliers entre les régions. Son article montre comment les identités « anglaises » et « flamandes » se sont cristallisées à Londres pendant la révolte des paysans de 1381 : les migrants flamands sont à l'origine des tensions dans la cité, les attaques contre les Flamands ayant offert une opportunité aux rebelles de se constituer en communauté qui, de fait, reposait sur l'exclusion par des frontières intérieures. Guilhem Pépin a traité des identités linguistiques et politiques dans le cas des Gascons et des Britanniques en Aquitaine, rappelant que les frontières politiques, culturelles et linguistiques ne coïncident pas nécessairement. Maria Joao Branco a démontré que les pratiques linguistiques ont été perméables à travers les frontières de différents états, notamment par le remplacement du latin par des langues vernaculaires locales dans la péninsule ibérique aux XIIIe et XIVe siècles. Le phénomène de la vernacularisation serait venu du besoin de l'usage des langues dans les pratiques politiques et aurait causé l'émergence d'identités linguistiques par la diplomatie transfrontalières.
Les frontières politiques ont délimité des régions, elles ont été utilisées à différentes fins. Jean-Philippe Genet et Maurice Keen ont traité de cette question à propos des relations diplomatiques écossaises et anglo-françaises : l'indépendance de l'Ecosse en 1328 n'ayant pas résulté d'une politique de séparation avec l'Angleterre, les relations anglo-écossaises se sont alors trouvées entre les mains de la noblesse locale habituée à arbitrer les conflits de frontières depuis des décennies, et à organiser les affaires politiques à l'intérieur du royaume ; après la perte de la Gascogne en 1453, la couronne anglaise a continué à nouer des alliances avec les puissances régionales françaises comme la Bourgogne et l'Aquitaine.
Dans la deuxième partie « Pratiques de l'échange », à côté des frontières territoriales consolidées, existent d'autres types de passages de frontières, générant une multitude de territoires intérieurs et extérieurs aux pratiques et aux contacts très divers. Rita Costra-Gomes en donne l'illustration avec les échanges d'objets matériels entre le Portugal et l'Afrique de l'Ouest. Prenant l'exemple d'un olifant appartenant au puissant duc de Beja, elle montre comment cet objet africain a été adapté sous l'influence des commanditaires européens et utilisés dans le cadre des échanges diplomatiques et commerciaux portugais et africains, ainsi qu'avec la péninsule ibérique. Frédérique Lachaud a analysé la diffusion et la fortune des Enseignements de saint Louis en Angleterre, transmis par les cours et les monastères. Dans le contexte anglais de protestation sociale au début du règne d'Edouard III, le document a contribué à la tradition littéraire des discours sur la tyrannie et le bon gouvernement. Les pratiques de l'échange ont créé des adaptations personnelles en fonction des expériences et des acteurs politiques de première importance implantés dans plusieurs régions à la fois. Jean Dunbabin a ainsi montré comment Philippe Chieti, de la famille des comtes de Flandre, développait ses projets politiques dans ses propres expériences alors qu'il était au service des rois d'Anjou dans le sud de l'Italie. Rappelé en Flandres à cause des révoltes dans les cités flamandes, il usa de son expérience angevine pour établir un dialogue diplomatique. De même, Paul Booth a présenté Edouard le Prince Noir, figure « transnationale » par excellence, placé face au dilemme d'agir à la fois sur le plan « international » et à l'intérieur de sa principauté du Cheshire, tout en tenant à conduire un bon gouvernement en Aquitaine. Enfin, Mario Damen a analysé les pratiques de l'échange à travers les tournois. Dans les Pays-Bas du sud, la mêlée, une forme collective du tournoi, était un mécanisme impliquant chaque faction de la cour, avec le patriciat comme organisateur et même les participants. Or au XVe siècle, le modèle anglais l'emporta, faisant se combattre des compétiteurs isolés. Cette évolution indiqua le passage de modèles transnationaux et des changements sociaux et politiques importants aux Pays-Bas au début du XVIe siècle.
De façon plus transversale, le rôle actif des représentations diplomatiques lors des conciles de l'Eglise au XVe siècle, des "nations" à l'Universités de Paris, et surtout des cours princières et royales, doit être rappelé. Dans ses nombreux travaux sur les cours - itinérantes - en Angleterre, en France, en Flandres, dans le Brabant, le Hainaut, la Hollande et en Artois, Malcolm Vale avait bien observé les cours comme centres cosmopolites de contacts, de réseaux et d'échanges dans toute l'Europe et au-delà (Asie, Afrique). Il avait toutefois insisté sur le fait que les institutions, actives à l'intérieur des frontières des royaumes et principautés, grâce aux diplomates, hommes de cour, marchands, banquiers, princes, peintres et musiciens, ne doivent cependant pas être vues comme les cadres avant-coureurs des Etats européens.
Au final, ce livre d'hommages à Malcolm Vale est une réussite, tant par la carrière impressionnante de l'historien britannique, que par la richesse et la diversité des articles réunis par H. Skoda, P. Lantschner et R.L.J. Shaw.
Martine Clouzot