Jesper Majbom Madsen: Cassius Dio (= Ancients in Action), London: Bloomsbury 2020, VIII + 133 S., ISBN 978-1-3500-3337-5, GBP 18,99
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Conformément aux principes de la collection «Ancients in action» dont il est l'une des plus récentes publications, le but de l'ouvrage est de présenter sous une forme concise, stimulante, et facilement abordable l'Histoire romaine écrite en grec au début du IIIe siècle par Cassius Dion, une œuvre dont l'apport à la connaissance de l'histoire de Rome et les qualités intrinsèques ont longtemps été sous-estimées.
Cette entreprise s'inscrit dans un renouveau très récent de la recherche savante sur cet auteur, amorcé il y a plus de 50 ans par Fergus Millar, mais qui n'a pris toute son ampleur que ces 10 dernières années. Madsen, qui a joué un rôle moteur dans ces travaux, en multipliant rencontres scientifiques et publications (qui figurent dans la courte bibliographie finale), est le spécialiste le mieux à même de présenter une synthèse qui met ces avancées à la portée d'un public assez large, d'étudiants notamment (un index des noms de personnes et de lieux est une aide bienvenue).
L'ouvrage comporte trois chapitres, précédés d'une introduction consistante. Dans celle-ci, Madsen pose de façon très vivante le cadre de l'analyse. D'abord l'auteur, envisagé sous l'angle des implications, pour son point de vue d'historien, de son identité de sénateur aux attaches provinciales (l'Asie Mineure) devenu membre de la haute administration et de l'entourage proche des empereurs sévériens à Rome, centre du pouvoir. Puis l'œuvre, son contenu, les difficultés qu'impose la conservation inégale de ses différentes parties. Le reste de l'introduction, après avoir évoqué les jugements généralement négatifs que les modernes ont portés sur Cassius Dion, donne les orientations que suivra le livre. Madsen évoque d'emblée et avec force ce qui constitue à ses yeux la clé pour comprendre l'Histoire romaine: l'objectif de Dion est de montrer l'excellence de la monarchie impériale, seul régime à même de garantir la stabilité politique de Rome et de son empire. Cette idée-force commande toute la structure de l'œuvre, qu'on ne peut pas considérer seulement comme une réponse aux problèmes de son temps, marqué par la guerre civile, l'effacement du Sénat, la tyrannie de certains empereurs. Madsen insiste sur la nécessité d'une lecture exhaustive de l'œuvre, seul moyen d'apprécier l'ambition intellectuelle de son auteur, et invite à découvrir sa richesse en guidant le lecteur selon trois étapes, logiquement articulées, correspondant aux trois chapitres qui suivent. Le premier est centré sur la réflexion politique de fond qui conduit Dion à affirmer la supériorité indiscutable de la monarchie, le second sur la narration qui lui permet de mettre en évidence ce point de vue, le troisième propose une approche critique de certaines parties de l'œuvre pour en montrer les faiblesses et les qualités, et préparer le lecteur à en faire une utilisation pertinente.
Le chapitre 1, intitulé In search of the ideal form of government, s'appuie sur les passages dans lesquels Cassius Dion exprime, tantôt sous la forme de commentaires personnels, comme au début du livre 44 à propos de l'assassinat de César, tantôt sous la forme de discours fictifs, comme les fameux conseils donnés à Auguste par Agrippa et Mécène au livre 52, son interprétation de l'histoire de Rome, en termes d'analyse des régimes et de description de la culture politique des élites dirigeantes. Sont ainsi étudiées successivement la critique radicale que fait Dion de la démocratie, terme par lequel il désigne les institutions de la République, puis sa description de l'établissement du principat par Auguste. En citant et commentant les passages-clés de l'œuvre, avec le souci de mettre en lumière ce qui sépare Dion des autres historiens de Rome, et le rôle que sa propre expérience a joué dans l'élaboration de sa réflexion, Madsen permet au lecteur de saisir l'originalité et la cohérence d'ensemble de cette monumentale Histoire romaine.
Le chapitre 2, intitulé Roman Narratives, parcourt l'œuvre entière, depuis l'époque des premiers rois jusqu'aux empereurs sévériens. Madsen montre comment Dion construit sa narration en y projetant les interprétations générales mises en évidence dans le chapitre 1. Il fait aussi ressortir l'insistance de Dion sur les constantes de la conduite des dirigeants, mus pour la plupart par l'ambition et l'arrogance qui les poussent à une compétition sans limites dont résultent violence et instabilité politique. Ce fil conducteur permet de passer en revue dans toutes ses nuances la façon dont Dion caractérise successivement les rois de Rome, les grands acteurs politiques de la République, de Camille à César en passant par les Gracques, Marius et Sylla, puis Auguste, et enfin les empereurs qui lui succèdent. La façon dont s'articulent les idées de Dion sur la supériorité de la monarchie et son portrait d'Octave-Auguste est particulièrement bien mise en évidence.
Le chapitre 3 offre une prise de recul sur l'œuvre et l'auteur. Madsen tente d'abord d'évaluer l'impact de l'Histoire romaine sur les contemporains de Dion et sur certains auteurs postérieurs, jusqu'à l'époque de Justinien. Puis il montre comment le récit que fait Dion de la période qui commence avec l'avènement de Commode, le fameux «âge de rouille», est fortement imprégné par l'expérience politique personnelle de Dion, et pour cette raison excessivement négatif. Enfin, il analyse les forces et les faiblesses de l'œuvre, sa fiabilité, son apport à notre connaissance de l'histoire de Rome, en détaillant certains épisodes dont il montre la grande qualité sur le plan historiographique.
La conclusion synthétise en quelques pages le bilan des trois chapitres et revient sur les idées-forces qui font la trame de l'œuvre, en concluant à la profondeur historique de la réflexion de Dion, développée sur la «longue durée» (en français dans le texte), à la cohérence de son analyse politique, et à la richesse de l'information qu'il présente.
La réussite du livre de Madsen tient à deux qualités. La première est la rigueur et la précision des analyses qu'il développe, toujours appuyées sur le texte de Dion dont il cite une dizaine de passages, puisés dans des parties différentes de l'œuvre. Ces extraits sont soigneusement mis en perspective par des informations complémentaires indispensables - par exemple sur la théorie des régimes que Dion hérite d'une longue tradition -, par des rapprochements avec les écrits d'autres historiens de Rome, et par l'évocation des problématiques historiques actuelles - par exemple la question des identités. La deuxième qualité est la vivacité de l'écriture, qui entraîne le lecteur dans une suite de questionnements stimulants, avec un style qui n'est jamais pédant et fait une place minime aux débats érudits.
Les critiques que suscite le livre sont mineures. L'apport irremplaçable de l'Histoire romaine à la connaissance des institutions de la République aurait pu être mieux évoquée, de même l'intérêt de ses descriptions de la guerre civile pour les Trauma studies. Quelques affirmations sont discutables, par exemple le caractère sommaire de la description de la conjuration de Catilina (11), ou infirmées par des travaux récents (104: le culte de César à Éphèse). Mais il s'agit de détails, qui ne nuisent nullement à la qualité d'ensemble du livre : il constitue la meilleure introduction possible à l'œuvre de cet historien grec auquel il est grand temps de reconnaître une place de premier plan dans l'historiographie antique.
Marianne Coudry