Julia Carrasco: Der Sündenfall im Werk von Hans Baldung Grien. Ikonographie und Kontext, Petersberg: Michael Imhof Verlag 2019, 304 S., ISBN 978-3-7319-0640-7, EUR 49,95
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Ce livre issu d'une thèse soutenue en 2015 à Bonn a été publié en 2019, l'année même de la grande exposition consacrée à Hans Baldung Grien à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe, dont Julia Carrasco était l'une des commissaires, aux côtés de Holger Jacob-Friesen. [1]
Dans la mesure où le thème de la Chute s'étend sur une période de trente années de travail de l'artiste et dans des techniques diverses, l'auteur a voulu examiner l'ensemble du corpus baldungien consacré à ce sujet, en analysant non seulement l'iconographie, mais aussi les aspects formels et le contexte historique et théologique. Sa longue introduction pose d'emblée les questions essentielles qui vont être traitées, sachant que la représentation du péché originel évolue grandement dans les premières décennies du XVIe siècle, en mettant le nu masculin et féminin au premier plan et en passant du contexte exclusivement religieux de l'histoire du Salut à une figuration autonome répondant à une demande privée. Il s'agit donc d'examiner l'accentuation de la sexualité et du rapport entre les deux sexes, ainsi que ce que l'auteur appelle la stratégie de l'image et l'implication du spectateur, élément essentiel chez Baldung.
Un mot à propos de l'exégèse théologique de cette affaire, très bien résumée par l'auteur: on ne peut s'empêcher de sourire à propos des controverses menées pour savoir qui est vraiment le ou la responsable de la Chute: a priori, c'est Ève, trop crédule, mais d'aucuns pensent qu'il s'agit d'Adam, car il n'a pas su utiliser sa ratio superior; Augustin, suivi sur ce point par Luther, estime même que si Adam avait été seul, il n'aurait jamais cédé à la tentation!
Ne pouvant pas, dans cette courte recension, aborder toutes les analyses d'œuvres, on se contentera de souligner quelques étapes essentielles de cette série chez Baldung.
Même si elle est esthétiquement assez faible, la gravure de 1505 pour le Beschlossen gart des rosenkrantz mariae, est intéressante iconographiquement puisqu'elle présente à gauche les "premiers parents" de part et d'autre de l'arbre, puis le Christ en croix au centre et deux prêtres servant la messe à droite: il s'agit donc de montrer le péché originel en tant que déclencheur de l'histoire du Salut. L'image est ainsi en parfait accord avec la commande faite par la confrérie du Rosaire de Nuremberg.
Peu étudié, un dessin de 1510, Ève sous l'arbre du Paradis est un exemple rare de représentation d'Ève seule. Influencé certes par Dürer et Cranach, c'est le premier nu féminin autonome chez Baldung, qui met ici en place l'implication du spectateur (masculin), nouvel Adam, par le regard qui lui est jeté. Par sa taille inhabituelle et son habileté technique, la feuille volante gravée en clair-obscur et titrée Lapsus humani generis par une plaquette descendant du ciel (1511), est une sorte de manifeste, hommage à Dürer certes, mais avec une intention tout autre: Baldung montre de façon démonstrative que c'est le désir sexuel qui a causé le passage à l'acte et la Chute et que c'est la Femme qui est à l'origine de l'acte, exemple premier du Pouvoir des femmes, thème misogyne courant à l'époque. Les deux protagonistes prennent le spectateur à témoin en l'incitant au contrôle de ses pulsions, mais il est évident que l'ambivalence voyeuriste demeure.
Après une série de gravures plus convenue (1514) dans la continuité idéologique du retable de Fribourg auquel il travaillait, Marie étant depuis longtemps vue comme la nouvelle Ève, Baldung réalise en 1519 une sorte de version nouvelle, plus radicale encore, de la gravure de 1511. Dans un format là aussi inhabituel, l'image est centrée sur les deux protagonistes. Le serpent a disparu et le désir sexuel est mis en scène de façon appuyée: Adam, sombre et faunesque, ne fait pas mystère de ses intentions, alors qu'Ève a une expression ambivalente entre désir et crainte. J. Carrasco y voit aussi une allusion à la Vanitas, telle qu'elle est représentée par La Jeune fille et la Mort et La Femme et la Mort des mêmes années. L'auteur souligne très justement le parallélisme de construction de ce dernier tableau et de la gravure. Péché et mort sont d'ailleurs souvent associés dans l'art de cette époque. À ce sujet, peut-être aurait-on pu consacrer un chapitre entier au tableau d'Ottawa, Ève, le serpent et la Mort, unique d'un point de vue iconographique, au lieu d'en faire un des éléments consécutifs de la gravure de 1519, même si l'essentiel est très bien vu. En effet, il s'agit non pas de la Mort en tant que telle, mais d'Adam mort au moment où il cueille la pomme. Il est en tout cas évident que c'est la charge érotique de ces œuvres qui se voulaient moralisatrices qui devait principalement attirer les acheteurs. Un long et riche excursus est consacré à la question complexe de la signature chez Baldung, toujours différente selon le sujet, mais qui est surtout l'affirmation du pouvoir créateur de l'artiste.
Un long chapitre est également consacré à la paire de tableaux de grande taille, d'une belle qualité picturale, représentant Adam et Ève en pied, qui ont visiblement fait partie d'une série comportant Vénus, Judith et peut-être d'autres tableaux perdus (vers 1525). Ces œuvres étaient clairement destinées à orner une grande salle de château et ont eu probablement comme commanditaire un patricien (Jacob Sturm ?) ou plutôt un prince tel Ottheinrich de Palatinat ou Albrecht de Brandebourg. Très typifiés en tant qu'Homme et Femme, l'un est la caricature d'une masculinité agressive et un peu ridicule, l'autre montrée comme archétype de la séductrice calculatrice, le sexe d'Adam étant caché par une branche suggérant un pénis et celui d'Ève par la pomme du péché. On retrouve donc ici le topos du Pouvoir des femmes, accentué encore par les représentations associées de Vénus et de Judith, et bien entendu l'ambivalence entre volonté moralisatrice et voyeurisme. Le dernier tableau (vers 1531-1533) illustrant le thème présente le couple dans un enlacement érotique non équivoque et le regard complice que jette Adam au spectateur renvoie à la gravure de 1519. Là encore, le public visé est celui des connaisseurs, l'argumentation religieuse et morale passant à l'arrière-plan (elle est humoristiquement suggérée par le minuscule serpent qui semble parler à Ève).
Il faudrait encore parler des copies de dessins donnant uniquement les contours (vers 1520-1535), l'un d'entre eux, où Adam touche le sexe d'une Ève visiblement satisfaite et qui regarde une fois encore le spectateur, ne pouvant guère aller plus loin dans l'érotisme pour l'époque. Une dernière gravure, conçue comme illustration biblique pour les presses de Wendel Rihel à Strasbourg (vers 1530-1535), est beaucoup plus conventionnelle, même si sa mise en scène rappelle parfois telle ou telle gravure antérieure.
Cette longue quête à travers un des sujets essentiels de Baldung fait preuve non seulement d'une érudition remarquable, mais aussi d'une volonté de compréhension approfondie des processus de création du génie singulier que fut Baldung, tout en restant toujours claire et très ordonnée. Les nombreuses comparaisons, qu'il n'était pas possible d'aborder ici, sont toujours pertinentes et enrichissantes, montrant bien le contexte artistique et idéologique dans lequel baignait l'artiste. On peut dire en conclusion que l'ouvrage de Julia Carrasco restera pour longtemps une référence dans les recherches sur Baldung.
Note:
[1] Holger Jacob-Friesen (dir.): Hans Baldung Grien: heilig / unheilig, cat. exp., Staatliche Kunsthalle Karlsruhe, Berlin / Munich 2019, également en français: Hans Baldung Grien: sacré / profane. Voir aussi Holger Jacob-Friesen / Oliver Jehle (dir.): Hans Baldung Grien. Neue Perspektiven auf sein Werk, Karlsruhe: Kunsthalle, Berlin / Munich 2019.
Frank Muller