Rezension über:

Olivier Marin / Ludovic Viallet: Pentecôtes médiévales. Fêter l'Esprit Saint dans l'Église latine (VIe-XVIe siècle) (= Collection "Hors Série"), Rennes: Presses Universitaires de Rennes 2021, 244 S., zahlr. s/w-Abb., ISBN 978-2-7535-8086-2, EUR 32,00
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Rezension von:
Guy Lobrichon
Université d'Avignon
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Guy Lobrichon: Rezension von: Olivier Marin / Ludovic Viallet: Pentecôtes médiévales. Fêter l'Esprit Saint dans l'Église latine (VIe-XVIe siècle), Rennes: Presses Universitaires de Rennes 2021, in: sehepunkte 22 (2022), Nr. 7/8 [15.07.2022], URL: https://www.sehepunkte.de
/2022/07/35891.html


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Olivier Marin / Ludovic Viallet: Pentecôtes médiévales

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Le livre collectif résiste et perdure, porté par l'ingéniosité des chercheurs. Voici une histoire de la Pentecôte au Moyen Âge, qui pourrait surprendre si plusieurs ouvrages de valeur ne s'y étaient aventurés depuis une quinzaine d'années, dont la thèse d'A. Fontbonne. [1] Le contexte scientifique est brûlant en raison des formes actuelles du pentecôtisme et de ses variantes radicales ; le poids des modèles pèse encore lourd, des patriarches M. Weber et M. Halbwachs aux théologiens Y. Congar et K. Barth. Histoire intellectuelle, histoire culturelle et histoire des sociétés se conjuguent lorsque l'enseignement des savants sur la procession et la mission de l'Esprit contribue à la démonstration de la visibilité de l'Église, de sa structure hiérarchique et de l'utilité des charismes dans l'histoire.

En tête de l'ouvrage, O. Marin en a résumé les enjeux, d'une part entre institution et charisme, d'autre part entre christomonisme et pneumatologie. Qui ne voit en effet que l'une et l'autre opposition déversent leurs fruits dans le champ du politique, sous des formes d'expression du pouvoir et de la domination telles que principat, monarchie, plénitude du pouvoir et conciliarisme, monopole de la parole, prophétisme et toutes variantes eschatologiques ?

La matière, immense et neuve, des 14 articles a été ici distribuée en 3 parties. La première introduit à la logique intellectuelle de la chrétienté latine, en trois arguments. Un article fondamental souligne le particularisme du Filioque qui a campé les Occidentaux dans une opposition résolue à l'Église grecque, d'Anselme de Canterbury et Thomas d'Aquin à Karl Barth (M. Vial). Suit l'évocation d'une question surgie aux XIIe et XIIIe siècles : comment concevoir l'irruption de l'Esprit dans la pensée de l'histoire, de Joachim de Flore à Pierre de Jean Olivi (M. Bartoli). Le troisième argument montre comment le récit primitif des Actes des Apôtres a pris vie dans les traductions-adaptations en ancien français des XIIe-XIIIe s. (M. Lamy cite plusieurs manuscrits inédits) et dans les 'misteres' d'Eustache Mercadé et Arnoul Gréban (V. Dominguez).

La seconde partie réécrit l'histoire de la Pentecôte en Occident, en cinq exposés. Les descriptions liturgiques, presque silencieuses, s'enhardissent dans l'étonnant ordinaire de la collégiale Saint-Paul de Lyon (P. Collomb) qui donne accès aux performances mises en scène dans l'église et à leur dramaturgie. Le flot intarissable des sermons aux XIIIe-XVe siècles, de Bonaventure (S. Delmas) à 5 best-sellers de la fin du Moyen Âge, sublime le panorama lorsque P. Delcorno introduit un stupéfiant sermon de Vincent Ferrer où la Vierge Marie se voit octroyer le premier rôle. Deux essais synthétiques ponctuent alors les jalons d'une nouvelle histoire de la Pentecôte. L'enquête de Ch. Mériaux dans les sources du haut Moyen Âge (VIe-Xe siècles) s'achève sur un constat plutôt modeste où la Pentecôte semble très secondaire dans la vie sociale du monde franc. A partir du XIe siècle en revanche, comme le démontre avec brio A. Fontbonne, une "appropriation laïque" de la fête rétablit l'équilibre des charismes grâce à l'activité des confréries.

La troisième partie enchaîne enfin sur les images et traces de la Pentecôte, par l'évocation successive de trois espaces : un couvent de Germanie, le royaume capétien et Jérusalem. Le premier exemple expose la vision poétique inspirée par Gertrud dans le couvent des dames de Helfta à la fin du XIIIe siècle (S. Barnay). La documentation du royaume capétien aux XIe-XIIIe siècles fournit à E. Dehoux un corpus des images et représentations du souffle, des langues de feu, du cercle des apôtres et de la foule, qui apporte un complément de grand intérêt aux synthèses esquissées dans la seconde partie. Enfin les compositions de lieu de la Pentecôte à Jérusalem sont esquissées par la plume de M. Rajohnson.

L'ensemble impressionne, malgré l'absence d'une étude sur les exégèses médiévales d'Actes des Apôtres 2 et de Jean 15,26, de Bède à Nicolas de Lyre. Les Libri carolini - qui parlent des images, mais aussi de la Trinité et du saint Esprit et l'éclosion du Filioque entre 767 et 825 méritent mieux qu'une vague mention (150). Je déplore que Pierre Abélard et le monastère du Paraclet d'Héloïse n'aient pas été tenus pour exemplaires, pas plus que Pietro Morrone, futur Célestin V, qui a fondé l'abbaye du Santo Spirito à Sulmona. Ce qui attise un autre regret, celui que l'hypothèse d'une seconde effusion de l'Esprit, d'une nouvelle Pentecôte à l'avènement d'un nouvel âge de l'histoire, n'ait pas été mieux suivie jusqu'au XVIe siècle. Elle n'a pas troublé le XIIIe siècle, parce qu'elle n'était pas perçue encore comme un obstacle à la définition juridique et théologique de la primauté romaine. Elle a gêné ensuite. N'aurait-elle pas été susurrée dans des prédications vaudoises au fil du temps ? Et hors de la sphère chrétienne, ne faudrait-il pas scruter davantage la possible relation de Joachim de Flore et de Pierre de Jean Olivi avec le concept de saint Esprit qui s'est faufilé, à la même époque semble-t-il, dans le judaïsme méridional, à la faveur du renouveau de la pensée sur la prophétie ?

Un tel ouvrage, même limité au point de vue occidental, est méritoire. Bien que privé d'une bibliographie générale, ce qui est dommage pour la présentation d'un thème aussi corpulent, il me paraît de grande utilité pour les historiens des cultures occidentales au Moyen Âge. Les éditeurs n'ont fait aucune concession à la facilité. J'ai laissé transpirer ci-dessus quelque perplexité devant la scénographie d'un plan peu convaincant. Mais l'ensemble ouvre des sentiers séduisants à la recherche. Ils sont esquissés par les trois synthèses sur les royaumes franc et capétien et sur l'ingérence des laïcs dans une histoire de la parole sous contrôle.

La Pentecôte si difficilement acclimatée, écrasée par l'ombre projetée de Pâques et de l'Ascension ainsi que par les pénitences des Rogations, a souffert d'un lourd déficit pneumatologique. Elle a trouvé ses couleurs aux Xe et XIe siècles, d'une part à la faveur des "croix banales" à partir du IXe siècle, d'autre part grâce à la valorisation du ministère (chant du Veni creator lors des ouvertures de synodes, conciles, symbolique pentecostale pour les ordinations et sacres : Ch. Mériaux, 155-7). Enfin, dès le milieu du XIe siècle, les laïcs se sont glissés dans l'espace laissé en friche par les clercs. Cela a commencé par la protestation d'Arialdo à Milan contre le maintien du caractère pénitentiel des 50 jours de Pâques à la Pentecôte, par la diffusion du thème des œuvres de miséricorde et par l'apparition de confréries du saint Esprit ; les réformateurs ont embrayé en martelant la relation immédiate entre inspiration, mission et prédication avant qu'à la fin du XIIe siècle, les laïcs soient interdits de prêcher. Ainsi la célébration liturgique s'est muée en festivités et dévotions publiques jusqu'aux Réformes du XVIe siècle et dans la Genève de Jean Calvin (V. Dominguez) qui auront remis l'Esprit à sa place dans la procession du Père et du Fils. Patientons maintenant, ce livre offre mieux que quelques jalons. Il exige des suites multiples.


Note:

[1] Alexis Fontbonne : Histoire sociale de l'Esprit saint en Occident. De l'amour divin à l'aumône laïque (XIe -XIVe siècle), Paris 2020.

Guy Lobrichon